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Il est difficile de prévoir le résultat de ces débats. Tout dépend de la question de savoir si le parti conservateur se ralliera sur ce terrain autour du ministère. C’est là ce que personne ne peut dire aujourd’hui. Toute conjecture serait hasardée. Nul ne sait les impressions, les dispositions d’esprit que les députés rapportent de leurs départemens.

Si la question demeure une question d’opposition, si elle n’est qu’un moyen de lutte de la gauche contre le parti conservateur, le ministère a peu à s’en inquiéter, il faut le dire, et le parti conservateur aura le dessus. Ce que le cabinet peut craindre, c’est qu’une question de cette nature ne paraisse à plusieurs conservateurs un moyen honorable et certain pour arriver à une crise ministérielle ; que d’autres, comme M. Lefebvre dans la dernière session, ne se sentent animés du désir d’enlever à la gauche l’honneur d’une proposition patriotique. Si, après une proposition probablement excessive de la gauche, un conservateur se présentait avec un de ces amendemens mitigés, qui mettent à l’aise bien des consciences, et dont les annales parlementaires offrent plus d’un exemple, la position du cabinet deviendrait à l’instant même difficile, peut-être même intenable.

Peut-être aussi verrions-nous alors ce qu’on a déjà vu il y a peu d’années, lorsqu’il s’agissait de la conversion des rentes, une question qui, comme on le dit de certains animaux, se tue elle-même en donnant la mort. La conversion des rentes a mis au néant un puissant ministère, pour venir ensuite expirer elle-même au pied de la tribune parlementaire.

La pensée de l’union commerciale avec la Belgique a été abandonnée. Le ministère n’a plus que le regret d’avoir soulevé une question qui a irrité et alarmé un grand nombre de ses amis sans lui ramener un seul de ses adversaires. Ces alarmes seront-elles promptement oubliées ? Cette irritation sera-t-elle bientôt complètement apaisée ? Ne restera-t-il ni ressentiment ni défiance ? Les intérêts sont d’ordinaire rancuniers ; certains amours-propres ont peut-être été blessés autant que les intérêts, et leur rancune n’est pas moins profonde. Les plus indulgens accusent le ministère d’imprévoyance, de légèreté. Ils lui renvoient ce reproche que les hommes politiques ont coutume de faire à ceux qui ne partagent pas toutes leurs opinions : ce sont, dit-on, des esprits spéculatifs, des hommes de théorie.

Certes nous ne dirons pas que l’affaire ait été conduite avec toute l’habileté qu’aurait exigée une négociation si délicate, et dont, pour ainsi dire, l’entrée dans le monde demandait à être préparée de longue main et avec les plus grands soins ; mais, dans notre impartialité, nous devons ajouter que l’avortement de la négociation est dû en partie, on l’affirme du moins, aux réflexions qu’ont fait naître chez le gouvernement belge les propositions que la France a été dans la nécessité de lui transmettre. On dit qu’il a reculé devant les concessions que le traité aurait imposées à la Belgique. Nous concevons cette répugnance ; seulement, ce que nous avons peine à concevoir, c’est la surprise qu’on paraît avoir éprouvée à mesure que le projet français se développait. On n’avait donc pas étudié, approfondi la question ! On en était resté à des idées