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DE L’UNION COMMERCIALE.

augmentant entre les deux pays et l’impôt belge étant ramené au niveau de l’impôt français, la consommation ne monterait pas à 10 ou 12 millions par année. Dans la convention des manufacturiers qui s’est tenue à Paris le 5 novembre, on a prétendu que la Belgique, au temps où elle était française, n’acquittait sur les vins, année commune, qu’un impôt de 2,700,000 francs. Le vin étant calculé sur une valeur moyenne de 50 francs l’hectolitre, les droits perçus alors par le fisc supposeraient encore une consommation de 13 à 14 millions de francs. Ainsi, de l’aveu des adversaires eux-mêmes de l’union, l’effet utile de cette mesure pourrait être d’ouvrir à nos vignobles en Belgique un débouché supplémentaire de 8 à 9 millions de francs. Nous ne portons pas nos vœux au-delà.

Ce ne serait pas un des moindres avantages de l’union commerciale que la suppression en Belgique de l’industrie immorale, et du reste peu lucrative, de la contrefaçon. Les libraires belges s’y ruinent par la concurrence effrénée qu’entraîne toujours une guerre de spéculation, dans laquelle on n’a rien à tirer de son propre fonds ; elle détruit encore plus sûrement le commerce de la librairie française, à qui elle enlève sa clientelle en Europe, en Belgique et en France même : elle nuit à la France, en rendant improductif le travail de ses écrivains ; elle ne fait pas moins de tort à la Belgique, en empêchant le génie littéraire de s’y développer.

Le siége de la contrefaçon est à Bruxelles ; cependant cette industrie s’exerce encore activement à Liége, à Louvain, à Malines, à Gand et à Tournay, où elle porte principalement sur les livres religieux. La contrefaçon n’avait pas pris un grand développement, tant qu’elle n’avait été entreprise que par des libraires isolés ; mais en 1836, les profits de ce commerce éveillèrent l’esprit d’association. Quatre grandes sociétés se formèrent, au capital fictif pour moitié de 8,500,000 fr. ; on y voyait figurer d’anciens ministres, des sénateurs, des présidens de tribunaux, des agens de l’administration, qui trouvaient apparemment que l’argent, quelle qu’en soit la source, ne peut pas sentir mauvais. Ce fut un débordement de piraterie sans exemple. Livres, revues[1], journaux, la contrefaçon belge s’empara de tout aux dépens de la France ; elle envoya ses commis voyageurs en Allemagne, en Angleterre et jusqu’en Russie ; elle paya et corrompit des ouvriers dans nos imprimeries, pour lui livrer des ouvrages qui étaient encore en épreuves, et n’attendit pas même, pour dérober la pensée de nos écrivains, que cette pensée se fût manifestée au public.

M. Briavoine évalue à 2,500,000 fr. par an la somme des ouvrages français réimprimés en Belgique. Plus de la moitié des produits de la contrefaçon trouve à se placer dans le pays ; l’exportation roule sur une valeur d’un million de francs. Cette somme représente un nombre immense de volumes, s’il

  1. Il se fait en Belgique deux contrefaçons de la Revue des Deux Mondes, et une de la Revue de Paris, tirées à un nombre considérable, bien que tronquées et falsifiées.