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LE DERNIER HUMORISTE ANGLAIS.

nétré le plus avant dans l’étude de la vieille langue et des auteurs anglais du XVIe siècle, celui qui a replacé sur leur trône les écrivains originaux que la Grande-Bretagne adore aujourd’hui, et livré à la postérité le tableau profond des mœurs commerciales et bourgeoises de son pays.

Il a procédé en homme de génie et non en écrivain didactique. On peut juger de deux manières les choses de l’esprit et ses œuvres : l’une tout administrative, qui aime l’utile et le vaste, le réglé et l’honnête, le grandiose et le ponctuel. C’est cette littérature qui estime particulièrement Ginguené et Salfi comme ayant écrit en dix volumes, avec de très bonnes tables de matières et des dates utiles, l’histoire de la poésie et de la prose italiennes. C’est elle qui tient en juste vénération la Bibliothèque française de l’abbé Goujet avec ses vingt volumes illisibles et bibliographiques. Ces écrivains sont les sergens de ville de la voie littéraire, et je n’ai point de plainte à proférer contre eux ; ils maintiennent l’ordre, ils substituent la décence régulière à l’entraînement dangereux ; ils enregistrent comme des greffiers, ils enrégimentent comme des enrôleurs, ils protocolisent comme des chefs de bureau, ils réglementent comme des employés du cadastre, ils toisent comme des vérificateurs. Je voudrais qu’à travers l’Europe une marque distinctive les récompensât après vingt ans de service, comme les douaniers en retraite ; mais en général ils n’ont besoin de personne, ils font tout seuls leur affaire. Ils ne dépendent pas des éditeurs ; ils les soumettent à leur loi. Ils écrivent beaucoup et régulièrement. Ils ont boutique, atelier, cartons, registres et caisse ; bons pères de famille, citoyens sans reproche. L’autre emploi de l’esprit est bien autrement dangereux : il juge, s’enquiert, domine, récompense et punit ; il est mobile, parce qu’il est profond ; rare, parce qu’il est sérieux ; il n’a rien de machinal, de commercial, de disciplinable ; il a ses hauts et ses bas, dépend du caprice, de l’humeur et du moment, et ne s’asservit guère aux lois du bonhomme Richard. Souvent même il fait des fredaines, comme chez Homère quand il digresse, ou chez Dante quand il prend ses ennemis par les cheveux et les jette tous ensemble dans la poêle infernale. Quel homme de mauvais exemple que ce Byron, qui vous écrit un poème sans plan, sur un héros qui n’est guère en culotte qu’à la strophe deux cents et quelques ! La Bruyère, Voltaire, Charles Lamb, Carlyle, et, récemment chez nous, de périlleux esprits, Alfred de Musset, Charles Nodier, Sainte-Beuve, sont choses très à surveiller. Que faire, en statistique, en politique et en