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par Charles V. Une solennelle épreuve était encore nécessaire avant que la France s’assît parmi les nations sur sa base indestructible, et l’on vit l’Angleterre renouveler, dans des conditions plus menaçantes peut-être, la tentative qui venait d’échouer contre la prudence d’un grand roi et le génie d’un grand capitaine. Azincourt rouvrit toutes les blessures de Poitiers, et Henri V, reprenant le débat qui semblait épuisé, fit traverser à la nationalité française une crise non moins terrible que celle dont elle avait triomphé sous Édouard III. Mais ce sentiment avait déjà poussé de trop profondes racines pour être arraché du cœur des peuples. Il ne fléchit pas sous l’orage que déchaînèrent sur le royaume et les rivalités princières, et les conspirations domestiques, et jusqu’à cette démence royale qui vint se joindre comme une calamité suprême à cet abîme de calamités. La France fut envahie, mais non pas domptée ; elle vécut l’épée sur la gorge, toute prête à se redresser pour la vengeance et pour la mort ; et lorsque Dieu, qui se complaît à la sauver par des voies où éclate sa providence, lui envoya la houlette de Jeanne d’Arc en signe de réconciliation et de salut, la nation la vit briller au-dessus de sa tête comme l’épée flamboyante du connétable. Elle salua dans la fille du peuple, aussi bien que dans le chevalier breton, un missionnaire de la même cause, un instrument de la même pensée divine : double symbole des forces les plus vives et les plus pures de l’ancienne monarchie, de la classe agricole et de la noblesse provinciale, la sainte paysanne et l’humble gentilhomme resteront les supports éternels de l’édifice fondé par l’héroïsme de l’un et consacré par le martyre de l’autre.

La publication de deux ouvrages importans sur Du Guesclin nous a paru une occasion naturelle pour appeler l’attention publique sur cet homme extraordinaire, dont la lumineuse figure brille à l’entrée de notre histoire moderne. Sa gloire n’est méconnue par personne ; mais nous avons espéré la faire mieux comprendre, et la légitimer encore en l’expliquant. Comment se fait-il qu’une telle vie ne puisse pas fournir à un écrivain d’un mérite et d’un savoir véritables la matière d’une œuvre d’un intérêt puissant et soutenu ? Comment se fait-il que M. de Fréminville soit vaincu par Cuvelier et par d’Estouteville ? C’est ici le sort commun de tous les écrivains contemporains, lorsqu’ils comprennent l’histoire autrement qu’elle ne peut l’être en notre temps. Le travail le plus difficile comme le plus ingrat qu’ils puissent se proposer, c’est d’écrire aujourd’hui l’histoire sous des formes purement narrratives, c’est de reprendre en sous-œuvre des chroniques dont la plus médiocre les laissera bien loin en ar-