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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

la jeune noblesse[1]. Dès ce moment, les montres et les contingens seigneuriaux ne furent plus que des accessoires sans importance dans l’organisation militaire du royaume ; le service cessa d’être la conséquence et le prix de la tenure territoriale, l’édifice féodal fut frappé dans sa base même, et l’armée, placée sous la main des rois, devint l’instrument de cet absolu pouvoir qui nivelait le sol pour le préparer à recevoir des semences nouvelles. Les compagnies royales achevèrent cette aristocratie superbe dont l’artillerie à feu eut bientôt démoli les imprenables demeures. M. de Fréminville, qui a inséré, dans son livre spécialement consacré à l’armée, des documens curieux sur la poliorcétique du xive siècle, établit en effet de la manière la plus solide qu’avant l’invention du canon, le siége d’une place était une opération infiniment plus longue dans ses mesures, plus incertaine dans ses résultats, qu’elle ne le devint après que l’artillerie à feu se fut propagée. Avant cette époque, il n’était pas rare de voir le plus modeste château, défendu par une cinquantaine d’hommes déterminés, tenir en échec, durant le cours d’une année entière, des forces assaillantes infiniment supérieures ; et tel fut, comme le montre cet écrivain, l’effet de la révolution commencée par l’application de l’artillerie à feu au siége des places, que l’avantage, qui jusqu’alors appartenait toujours aux assiégés, passa tout entier aux assiégeans, et qu’il n’y eut plus de place imprenable.

Ainsi allaient tomber pierre par pierre cette multitude de donjons et de châteaux qui bravaient depuis des siècles la puissance du suzerain ; ainsi la physionomie matérielle de la France allait se renouveler comme celle de la société même. Ce fut donc un grand jour dans l’histoire que celui où Du Guesclin braqua quelques canons en batterie contre une mauvaise bicoque ; ce ne fut pas un jour moins décisif que celui où, à la stupéfaction des bourgeois de la capitale, on le vit, selon la promesse qu’il en avait faite, conduire à Paris pour souper en grande pompe dans les appartemens royaux, où les attendaient Charles V en personne, les chefs de ces terribles bandes destinés à devenir bientôt de fidèles et dévoués capitaines. L’homme

  1. « Ordonnons qu’en chaque paroisse de notre royalme y aura un archier qui sera et se tiendra continuellement en habillement suffisant et convenable de salade, dague, espée, arc, trousse, jacque ou hugue de brigandine, et seront appelés les francs archiers ; lesquels seront esleus et choisis par nos esleus en chaque élection, sans avoir égard ne faveur à la richesse et aux requêtes que l’ont pourroit sur ce faire. Et seront tenus de nous servir toutes les fois qu’ils seront par nous mandez, et leur ferons payer quatre francs pour homme, pour chacun, mais du temps qu’ils nous serviront. » (Ordonnance de Montils-lèz-Tours.)