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— Paul, lui dit-elle, comment se fait-il que j’aie peur auprès de vous ?

Paul, qui à ce moment avait posé ses lèvres sur les cheveux de Mlle Morsy, releva vivement la tête. Elle ajouta : — Mais vous serez, vous êtes mon mari ; le ciel a entendu nos promesses et nos sermens, nous sommes mariés ; n’est-ce pas que je ne fais pas mal d’être ici avec vous ? n’est-ce pas que mon mari me pardonne ?

Alors elle releva sa tête charmante pour attendre la réponse de Paul. Paul sentit sur son visage l’haleine de Cornélie, ses lèvres s’approchèrent de la bouche de cette fille adorée.

L’ame de feu Bressier voltigeait entre ces deux bouches amoureuses.

Paul se leva brusquement, et, d’une voix pleine d’enthousiasme, dit : — Cornélie, ne crains rien de Paul Seeburg ; je n’abuserai pas de ta noble confiance et de ta charmante candeur. Cornélie, tu peux confier ton honneur au mien ; ton amant te gardera pure à ton époux.

Ceci ne manque pas de grandeur et de noblesse, mais il y avait au fond encore plus d’embarras de la part de Seeburg. Les femmes ne savent pas toute la timidité des hommes, et je parle des plus audacieux ; on sait que Paul n’était pas de ceux-là.

L’ame de feu Bressier fut indignée et le trouva sot.

Cornélie fut étonnée, et comprit alors que la terreur qu’elle avait ressentie, et dont elle se trouvait délivrée, n’était pas sans un mélange de plaisir.

En faisant venir Paul au jardin, Cornélie avait un plan, mais un plan à peine aperçu : il fallait qu’un accident, une surprise, mît M. Morsy entre la crainte du déshonneur de sa fille et la nécessité de la donner à Paul Seeburg ; elle avait exécuté immédiatement la première partie du plan, celle qui n’amenait que le plaisir de voir Paul, de passer seule avec lui quelques heures de nuit dans le jardin. La seconde partie ne se présentait à l’imagination qu’escortée de craintes, de colère, de reproches, de honte : c’était celle qui consistait à se laisser, ou plutôt à se faire surprendre ; elle n’osait aborder cette seconde partie, et, malgré son intention d’être surprise, elle pensa qu’il valait mieux que ce fût un autre jour, ou plutôt elle ne pensa plus qu’au bonheur d’être avec son amant, de parler du passé et de l’avenir, de lui avouer tous les regrets, tous les désirs qu’elle lui avait cachés avec tant de soin depuis qu’elle l’aimait ; de lui raconter tout ce qu’elle avait pensé, et sous leur pêcher, et auprès du bassin, et sous la tonnelle de chèvre-feuille. Elle ne pensait pas à rien dé-