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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE TORY.

nos tyrans le fouet dont ils nous frappent. Dans un rayon de cinquante milles autour de Manchester, toutes les machines sont en repos, excepté la roue utile du moulin à blé. Compatriotes et frères, des siècles peuvent s’écouler sans qu’une action si universelle se reproduise. Le dé de la liberté est jeté, nous devons comme des hommes en courir toutes les chances. Que personne ne se décourage, qu’aucun homme, aucune femme, aucun enfant ne rompe l’engagement solennel que nous prenons, ou si quelqu’un le fait, que l’exécration des pauvres le poursuive. C’est mériter l’esclavage que de s’y soumettre. Tous nos moyens d’action sont préparés, et dans trois jours votre cause sera soutenue par toute l’intelligence que nous pouvons appeler à notre aide. Prêtez-nous force dans la crise ; aidez vos chefs ; ralliez-vous autour de notre sainte cause, et laissez la décision au Dieu de la justice et des batailles. »

Assurément un tel langage tenu par une association qui a réuni trois millions de signatures est quelque chose de grave et d’effrayant. Je répète pourtant que jusqu’ici tout fait croire que l’influence chartiste n’a été rien moins que prépondérante dans le vaste soulèvement du mois d’août. Il s’en faut d’ailleurs que l’adresse dont je viens de citer quelques extraits exprime l’opinion du corps entier des chartistes. Parmi eux déjà, comme parmi nos sociétés républicaines de 1834, il y a des modérés et des exaltés, des hommes de prudence et des hommes d’action, et, comme en 1834 encore, les premiers sont traités de lâches et de traîtres par les seconds. Ainsi déjà la voix calme et ferme de M. Lovet est étouffée par les grossières déclamations de M. Fergus O’Connor. Déjà la renommée de M. Vincent pâlit devant des renommées plus bruyantes. Il y a pourtant lieu de penser que le mauvais succès de la dernière échauffourée diminuera parmi les chartistes l’influence de la portion violente et accroîtra celle de la portion paisible. Ce n’est plus alors à l’insurrection que les chartistes demanderont le triomphe de leurs opinions, mais à la discussion. Ceux qui voudront davantage formeront un parti à part, si le jury anglais leur en laisse le temps.

Ce qui peut faire croire à cette transformation prochaine du chartisme, c’est qu’au sein des classes moyennes et dans le parlement même, il commence à se rencontrer des hommes qui adhèrent aux cinq articles de la charte, le suffrage universel, l’élection annuelle de la chambre des communes, le vote secret, l’abolition du cens d’éligibilité, et la répartition proportionnelle des membres du parlement selon la population. Voici déjà quelques mois que M. Sturge