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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE TORY.

prêt à se retirer. C’est là ce qu’il leur répète à chaque essai de révolte, et devant cette menace les armes rentrent d’elles-mêmes dans le fourreau. Les journaux whigs et radicaux ont donc beau démontrer aux tories que sir Robert Peel leur fait abandonner successivement toutes leurs opinions, et renier tous leurs principes ; ils ont beau renouveler chaque jour leurs sarcasmes sur « le visir et son cabinet de muets : » les tories supportent tout cela, plutôt que de laisser encore une fois échapper le pouvoir. Quant aux collègues de sir Robert Peel, le joug paraît peu leur peser, et ils se résignent facilement à avoir pour chef un des premiers hommes d’état que le gouvernement parlementaire ait produits.

Je viens d’examiner successivement les difficultés principales qui attendaient sir Robert Peel, et de montrer comment il les a surmontées. Mais, vers la fin de la session, il en surgit une plus sérieuse, et qui n’avait point été prévue. Depuis plus d’un an, l’industrie anglaise est en proie à une de ces crises périodiques en quelque sorte, et qui, dans un pays où les deux tiers de la population appartiennent à l’industrie, produisent nécessairement de grandes misères et de déplorables souffrances. Cet état s’aggravant, l’opposition avait même jugé à propos d’en faire le sujet de plusieurs motions, et de proposer d’abord que « la reine fût priée de ne pas proroger le parlement avant qu’une enquête eût été faite sur la détresse du pays, » ensuite « qu’une adresse fût présentée à la reine pour l’engager à convoquer promptement le parlement, dans le cas où l’état du pays ne s’améliorerait pas. » Mais ces deux motions ne donnèrent lieu qu’à quelques tournois oratoires entre les chefs des deux côtés de la chambre, et à un incident tout anglais qui égaya un moment ce triste sujet. Comme lord Palmerston parlait de réunir le parlement en novembre « En novembre ! s’écria soudainement sir James Graham ; mais c’est la saison de la chasse aux faisans ! » Lord Palmerston parut s’étonner un peu de la réponse ; pourtant je ne suis pas sûr qu’au fond du cœur il ne la trouvât assez bonne.

Quoi qu’il en soit, au moment même où le parlement se séparait, la nouvelle parvint à Londres d’une insurrection redoutable dans plusieurs des grands districts manufacturiers. À Manchester, à Bolton, à Ashton, à Oldham, à Bury, à Rochdale, à Stockport, à Preston, à Leeds, à Leicester, à Blackburn, à Huddersfield, à Bradford, à Wigan, dans les poteries, à Stone, à Halifax, à Derby, dans le sud du pays de Galles, en Écosse même, les ouvriers quittèrent leurs ateliers ou leurs mines, forcèrent à les suivre ceux qui voulaient tra-