Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’ils ne la donneraient pas à Paul, que cependant il n’était pas impossible qu’ils fussent unis ; mais elle n’osait pas penser au seul moyen qui faisait que cette union n’était pas impossible. Elle n’était pas non plus très contente que sa mère eût dit qu’elle était niaise et sotte comme une enfant de trois ans. Le lendemain, elle reçut une lettre de Paul. Il lui disait « qu’il s’occupait de leur avenir ; qu’il allait bientôt apprendre la composition, parce qu’ensuite il ferait un opéra ; si l’opéra était joué, et si il réussissait, cela lui donnerait tout d’un coup une position et de l’argent, et il n’aurait plus alors qu’à se laisser aller au courant. Du reste, il jurait à Cornélie une fidélité inaltérable, et il lui rappelait les sermens qu’elle lui avait faits elle-même de l’attendre… toujours, s’il le fallait. »

Cet avenir dont parlait Paul avait le défaut d’être un peu lointain, et hérissé de beaucoup trop de si. D’ailleurs, elle ne savait pas si M.  et Mme Morsy n’auraient plus rien à objecter lorsque M. Paul Seeburg aurait fait un opéra, si il était joué, et si il réussissait. Elle croyait même savoir que cela les toucherait médiocrement.

Il y avait une pensée qui suivait de près ces idées décourageantes, c’était le cas où son père forcerait Seeburg à l’épouser. Il y avait cependant dans cette pensée quelque chose qui l’effrayait assez ; mais Cornélie, comme tous ceux qui ont fait leur éducation avec les romans, avait plus de beaux sentimens dans la tête que dans le cœur. D’ailleurs, elle pensait que l’époux lui pardonnerait la faiblesse qu’elle aurait eue pour l’amant ; et encore que risquait-on avec Paul ? Ne pouvait-elle, tout en restant innocente, se compromettre assez pour rendre son mariage indispensable aux yeux de son père ? n’était-ce pas, d’ailleurs, le seul moyen d’être la femme de Paul ?

Elle lui écrivit :

« Rentrez cette nuit par la petite porte du jardin qui sera ouverte ; vous m’y trouverez, j’ai à vous parler. »

Paul relut cent fois ces deux lignes. Quand il ne les lisait pas, il touchait le papier plié dans sa poche, pour s’assurer que c’était bien vrai, que la lettre était là, cette lettre qui lui promettait un rendez-vous ! avec elle ! la nuit ! dans ce jardin !

Le soir, il quitta de bonne heure la famille Morsy, pour aller plus tôt attendre le moment de revenir ; il alla se cacher dans un taillis sur lequel donnait la petite porte indiquée ; mais, quand il vit s’éteindre une à une toutes les lumières qui brillaient à travers les vitres de la maison, quand le calme profond dans lequel cette maison parut s’endormir, lui montra qu’il était temps, son cœur commença à battre