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été promu à une fonction de quelque importance. Sait-on ce que répondit sir Robert Peel ? « Il n’y a là, dit-il, de notre part aucun projet d’exclure les catholiques ; mais ils sont tous de l’opposition, et nous ne pouvons nous appuyer sur nos adversaires. » Du point de vue parlementaire, la réponse de sir Robert Peel était bonne ; mais du point de vue irlandais, quelle condamnation de son cabinet ! Quoi ! voilà un pays où les catholiques sont aux protestans dans la proportion de sept à un, et vous reconnaissez qu’ils sont tous de l’opposition Comment espérez-vous gouverner ainsi ce pays, surtout quand au sein même de la minorité qui vous appuie, il y a tant d’idées folles et de passions désordonnées ?

Les tories éclairés comprennent la gravité d’une telle situation, et s’efforcent d’y trouver un remède. Ainsi la presse anglaise s’est fort occupée d’une brochure de lord Alvanley, qui n’allait à rien moins qu’à payer le clergé catholique comme le clergé protestant. Le sentiment qui dirige lord Alvanley est bien simple. Il comprend que le peuple irlandais se laisse conduire par deux espèces d’hommes, ses prêtres et ses agitateurs. Tant qu’ils sont unis et qu’ils agissent de concert, il n’y a contre eux rien à faire. Il faut donc les diviser et appeler à soi ceux qui par nature, par situation, par principe, sont amis de l’ordre et de la paix. On y parviendrait en liant jusqu’à un certain point le clergé à l’état, et en le dégageant de la nécessité où il est maintenant de se plier, pour vivre, à tous les caprices populaires. Lord Alvanley sait d’ailleurs que le clergé catholique a plus d’une fois essayé de résister à l’impulsion démocratique, et qu’en 1825, lorsqu’il fut sérieusement question d’établir entre l’état et lui un lien financier, beaucoup de ses membres le trouvèrent fort bon. De là le projet que lord Alvanley a produit l’hiver dernier, et qui a conquis, dit-on, un nombre assez considérable de partisans.

À vrai dire, ce projet est parfaitement sensé ; mais il a un défaut, c’est d’être inexécutable, surtout par les mains d’un ministère tory. Comment y pourraient jamais consentir, d’une part, les orangistes et les protestans zélés, qui n’y verraient rien moins qu’un outrage à la vraie religion, de l’autre les agitateurs Irlandais, à qui l’on enlèverait ainsi d’un coup leurs meilleurs alliés dans le pays ? Or, en supposant que sir Robert Peel osât braver dans le parlement les anathèmes des orangistes et des protestans zélés, il ne pourrait jamais vaincre, en Irlande, la résistance des agitateurs. Entre eux et le clergé catholique, il y a en ce moment union intime et solidarité. La rompre pour ce qu’on appellerait un vil intérêt d’argent serait au-dessus des forces