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fait doit-il durer ? J’essaierai de dire ce que j’en pense, bien qu’avec beaucoup de réserve ; mais il faut d’abord indiquer les incidens principaux qui ont occupé l’Irlande depuis un an.

Peu de jours avant la formation du cabinet tory, le principal organe du parti en Angleterre, le Times, imprimait, à propos de la conduite du clergé catholique dans les élections, la phrase que voici : « Les révérends malfaiteurs ont lancé leur canaille à la piste du sang protestant. » Peu de jours après la formation du cabinet tory, le même Times gourmandait vivement l’association protestante et lui reprochait la fureur de ses anathèmes contre les catholiques. « Ce n’est pas ainsi, disait-il, que l’on gouverne les hommes et que l’on rapproche les esprits. » Il y a dans ces deux langages du Times une indication précieuse, et qui montre assez clairement, au sein du parti tory, la lutte de la politique et des opinions. Dès le début, au reste, il fut aisé de voir que la politique l’emporterait, et que le parti orangiste n’obtiendrait pas la domination exclusive sur laquelle il avait compté. Malgré la modération connue du lord lieutenant, lord de Grey, le parti orangiste pouvait, à la rigueur, le regarder comme un des siens à cause de son mariage avec la fille de lord Enniskillen ; mais il lui était difficile de voir du même œil la nomination du secrétaire d’état, lord Elliott, qui, bien que tory, s’était presque constamment séparé de son parti quand il s’agissait de l’Irlande. Aussi, à cette nouvelle, la colère fut-elle grande au camp orangiste, et les journaux tories ne furent-ils occupés, pendant quelques jours, qu’à modérer leurs frères d’Irlande qui se plaignaient hautement et amèrement d’être trahis par le nouveau cabinet. La nomination de M. Sugden comme lord chancelier, celle de M. Pennefather comme chief-justice, furent loin de les calmer, bien qu’on eût donné en compensation M. Jackson pour solicitor general, et M. Lefroy pour juge. Mais ce qui mit le comble à leur fureur, ce fut la préférence accordée à M. Warren sur M. West pour une place vacante de serjeant. M. West, membre du parlement et rival heureux d’O’Connell à la dernière élection, aspirait hautement à cette place, et le parti orangiste tout entier la demandait pour lui. Cependant un autre l’obtint, et telle fut la tempête soulevée par cet incident, que le lord-lieutenant, lord de Grey, se crut obligé de faire à peu près des excuses à M. West. Celui-ci les reçut, et l’affaire en serait restée là si M. West n’était mort peu de jours après. Ses amis ne manquèrent pas de dire qu’il mourait de chagrin, et le feu près de s’éteindre fut ainsi ranimé.