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1841, lord Palmerston prononça à Tiverton, au sujet de l’Afghanistan. À l’entendre, jamais domination étrangère n’avait été plus sûre, plus paisible, plus agréable aux naturels du pays. Ce qu’ils avaient conquis par la force des armes, les Anglais le conservaient par la justice, par l’humanité, et de Caboul à Hérat, à Peshawer ou à Candahar, tout officier britannique ou tout soldat pouvait se promener sans autre danger que celui d’être accablé de remerciemens et de bénédictions. Trois mois après, une insurrection terrible éclatait, et les Anglais écrasés étaient obligés d’évacuer Caboul, laissant derrière eux quelques milliers de morts et de prisonniers.

Assurément une telle catastrophe, si elle fût survenue au temps des ministres whigs, eût perdu ces ministres, celui d’entre eux surtout qui avait récemment donné la preuve d’une si imprévoyante vanité. Mais quel coup pouvait-elle porter à sir Robert Peel et à ses collègues ? La politique qui venait d’être si cruellement frappée, c’était la politique de leurs adversaires, la politique à laquelle ils avaient constamment refusé de s’associer. Comme bons citoyens, comme ministres dévoués à leur pays, sir Robert Peel et ses collègues devaient donc déplorer les désastres de l’Afghanistan. Comme hommes de parti, ils y puisaient une force nouvelle. Aussi, pendant tout le cours de la session, Caboul a-t-il été le mot formidable à l’aide duquel ils ont réduit l’opposition au silence, toutes les fois qu’elle voulait parler haut. Deux ou trois fois pourtant, avec l’audace du désespoir, lord Palmerston a essayé de prendre lui-même l’initiative, et de vanter comme la plus glorieuse, comme la plus utile des guerres, celle qui venait de se terminer si déplorablement ; mais à la morne froideur de ses amis, comme à l’exaltation ironique de ses adversaires, lord Palmerston lui-même a dû s’apercevoir que le terrain n’était pas bon.

Un grave problème reste pourtant à résoudre, celui de savoir si l’Angleterre ira prendre à Caboul une revanche éclatante, ou si, renonçant définitivement à occuper le pays, elle se contentera de quelques succès et de quelques arrangemens qui mettent autant que possible l’honneur à couvert. Dans la prévoyance de cette dernière solution, les journaux whigs, il y a quelques jours, la signalaient d’avance comme honteuse et funeste. Depuis, d’autres nouvelles sont arrivées, et le bruit s’est répandu que les troupes avaient l’ordre de se porter en avant. Quoi qu’il en soit, une marche plus ou moins heureuse sur Caboul ne tranche point la question véritable, celle de l’occupation ou de l’évacuation. Si, comme cela paraît probable, sir