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de ce que l’Angleterre, aujourd’hui comme pendant tant de siècles, nous apparaît plutôt comme une rivale que comme amie, s’ensuit-il qu’on doive détourner les yeux de ce grand pays ou le juger autrement qu’avec impartialité ? C’est la marque d’une ame faible que de rabaisser, que de décrier son ennemi, au lieu de l’estimer à sa valeur et de lui rendre justice. Plus donc on croit à la rivalité permanente de la France et de l’Angleterre, plus on doit se garder, dans les deux pays, de ces sentimens honteux qui ôteraient à la lutte toute grandeur et toute générosité.

J’ai cru ces réflexions nécessaires au moment où, reprenant un travail commencé l’an dernier[1], je vais jeter un coup d’œil sur les évènemens qui se sont récemment accomplis en Angleterre, et sur la situation des partis telle qu’elle m’apparaît en ce moment. À mon sens, dans ce qui s’est passé en Angleterre depuis un an, il y a beaucoup à louer, beaucoup à admirer même, et je ne veux ni dissimuler cette admiration ni souffrir qu’elle soit faussement interprétée. Autant au moins que beaucoup de ceux qui font aujourd’hui à l’Angleterre une guerre si acharnée de paroles et de plume, j’ai ressenti, je ressens encore l’affront et l’échec de 1840 ; mais je ne pense pas que l’injure et la menace à distance soient le meilleur moyen de réparer cet échec, de venger cet affront. En attendant le jour où, pour une aussi bonne cause qu’en 1840 et avec une plus ferme résolution, la France mettra sa politique en face de la politique anglaise, il doit donc être permis d’envisager modérément et froidement les affaires de ce pays. C’est ce que je vais tâcher de faire, sans m’inquiéter de savoir si parmi les excellens patriotes qui prenaient, il y a deux ans, le parti de lord Palmerston contre M. Thiers, de l’Angleterre contre la France, quelques-uns ne me reprocheront pas aujourd’hui de prononcer sans colère le nom de l’Angleterre, et sans outrages celui de lord Palmerston.

Au moment où j’écrivais l’an dernier, les élections venaient d’avoir lieu, et la victoire du parti tory était assurée. Quel jour prendrait-il le pouvoir ? quels seraient les collègues que sir Robert Peel s’associerait ? Voilà l’unique question qui restât à décider. Le parti whig ne voulut pourtant pas tomber sans un dernier combat, et le discours d’ouverture de la chambre nouvelle essaya de replacer les deux armées sur leur ancien champ de bataille ; mais le parti tory, sûr de ses forces, ne consentit pas à attendre, et proposa simultanément

  1. Revue des Deux Mondes, livraison du 1er  août 1841