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pris tout de suite que les vins de Portugal auraient désormais une telle faveur en Angleterre, que la concurrence lui devenait impossible. Alors les députés andalous se sont réunis aux députés catalans pour repousser le traité, et il n’y a plus eu moyen d’y songer. Le ministère qui le préparait, qui l’avait promis, s’est empressé de l’abandonner. M. Marliani, qui est un sénateur espagnol fort dévoué à l’Angleterre, a été le seul qui n’ait pas pris son parti de bonne grace ; il a crié au scandale, à la violation de la foi jurée, ni plus ni moins que M. Aston lui-même ; par malheur, M. Gonzalès lui a répondu en niant des faits manifestes, et tout a été dit. Non-seulement le traité n’a pas été signé, mais il a été généralement convenu qu’il n’en avait jamais été question.

Et le régent ? Le régent, suivant son usage, a sanctionné les faits accomplis. Véritable souverain constitutionnel, il a renoncé au traité comme il l’aurait signé. Si les Anglais avaient beaucoup compté sur lui, ils ont eu tort. Il ne s’est pas donné la moindre peine pour les servir. Parfaitement tranquille dans la haute sphère qu’il habite, il s’inquiète peu de ces questions ardentes qui s’agitent au-dessous de lui. Les Anglais ont voulu qu’il fût régent : il l’est ; que demandent-ils de plus ? Si le traité avait passé sans difficulté, à la bonne heure ; mais il aurait fallu lutter, se créer des embarras, se mettre sur les bras de méchantes affaires : c’est impossible. Un jour peut-être, plus tard, quand les esprits seront un peu calmés, il verra. Pour le moment, il ne peut exposer son autorité à un échec.

Voilà pour la première mystification ; passons à la seconde.

Seconde mystification : les exaltés.

Jusqu’ici les exaltés ont eu le beau rôle ; ce sont eux qui ont dupé les Anglais. Patience, ils vont être dupés à leur tour. Si les Anglais ont eu un but dans la révolution de septembre, le traité de commerce, les exaltés en ont eu un autre, la réalisation de leurs idées politiques. Ce but, ils ne l’ont pas plus atteint que les Anglais n’ont atteint le leur. Depuis deux ans que la révolution a eu lieu, ils ont fait effort à plusieurs reprises pour se ressaisir du pouvoir. Une circonstance inattendue est toujours venue déjouer leurs plus habiles combinaisons. Tantôt c’est la défection de quelques sénateurs modérés qui fait échouer leur invention favorite de la triple régence ; tantôt c’est la malheureuse tentative de Diego Léon et de ses amis, qui resserre autour d’Espartero, par le sentiment d’un danger commun, le faisceau à demi délié des ultra-révolutionnaires.

Enfin, au mois de mai dernier, ils ont cru un moment toucher au succès. Après bien des tentatives détournées qui n’avaient pas réussi, ils avaient pris le parti d’attaquer de front. Une coalition s’était formée dans le congrès pour renverser le cabinet. Plusieurs avertissemens significatifs avaient été donnés ; les ministres s’obstinaient à rester. Un beau jour, après une discussion de treize heures, la résolution suivante est adoptée à la majorité de 85 voix contre 78 : le ministère n’a pas le prestige et la force morale nécessaires pour faire le bonheur de l’Espagne, et il ne lui reste d’autre alternative