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REVUE. — CHRONIQUE.

hisons, de tentatives avortées, de dépenses perdues, d’espérances toujours ajournées et toujours renaissantes, ce grand œuvre arrive à sa fin. Le succès a coûté cher ; qu’importe ? il fallait chasser une femme, séparer une mère de sa fille, s’armer de la liberté contre celle qui a tant contribué à donner la liberté à l’Espagne. Mais enfin le but est atteint : c’était l’important.

Dieu sait quelle joie ont dû éprouver alors les patiens organisateurs de cette longue conspiration. Le but poursuivi par la politique anglaise depuis plus d’un siècle était donc atteint. Le pacte de famille était déchiré. L’Espagne échappait à son antique communauté d’intérêts et d’idées avec la France ; elle tombait sous le joug de l’Angleterre. L’Angleterre avait déjà un pied sur Gibraltar et les deux mains sur le Portugal ; elle allait enfin se saisir de la Péninsule tout entière. Quelle riche proie ! Il y eut de magnifiques calculs faits dans la Cité, et les voûtes de Westminster retentirent de cris de triomphe. Whigs et tories s’embrassèrent sur des sacs de coton. Sir Robert Peel, habituellement si réservé, ne put résister à l’entraînement, et s’échappa jusqu’à dire en plein parlement que le fameux traité de commerce avec l’Espagne était sur le point d’être signé.

Ô vanité de la politique ! ô fatal retour des choses d’ici-bas ! À peine le premier ministre anglais avait-il prononcé ces paroles pleines d’espérance, que l’évènement est venu lui donner un démenti. Tant que M. Aston, représentant de l’Angleterre à Madrid, s’était tenu dans des généralités sur les rapports de bienveillance qui allaient désormais exister entre les deux pays, le nouveau gouvernement l’avait laissé dire ; mais dès qu’il a voulu préciser un peu la question, il a été repoussé. Le parti exalté avait accepté avec empressement tous les services que l’Angleterre lui rendait, pourvu qu’il n’eût rien à donner en échange ; le quart d’heure de Rabelais venu, il a refusé de payer le petit mémoire qui lui a été présenté. Un tel exemple ne fait peut-être pas beaucoup d’honneur à ceux qui l’ont donné ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est très divertissant pour la galerie, c’est-à-dire pour l’Europe en général et la France en particulier. Il arrive aux Anglais ce qui nous est arrivé à nous-mêmes après la campagne de 1823. Quand Ferdinand VII eut été remis sur son trône par l’armée française, il se moqua de nous. Ainsi a fait le parti exalté avec l’Angleterre. Après avoir prêté à rire à nos dépens, nous pouvons rire aux dépens des autres.

Comment s’est accomplie cette révolution imprévue ? Tout naturellement. Les Anglais ont voulu trop prendre à la fois. Ils auraient probablement emporté le traité avec l’Espagne s’ils n’avaient pas négocié en même temps avec le Portugal. Le traité avec le Portugal a alarmé trop d’intérêts en Espagne. Le parti exalté est principalement puissant dans deux provinces, la Catalogne et l’Andalousie ; la Catalogne n’a jamais voulu du traité avec l’Angleterre, parce qu’elle craint pour ses manufactures ; mais l’Andalousie désirait ce traité, parce qu’elle espérait un écoulement pour ses vins. Quand on a appris la fin des négociations avec le Portugal, l’Andalousie a cessé d’espérer ; elle a com-