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Ces calculs avaient été empruntés à une publication faite par le comité des maîtres de forges en avril 1840, sous le titre : Situation des usines à fer. M. Talabot les confirme et les précise dans son rapport, en présentant une échelle des prix de vente à Paris, qui s’étend, pour 1828, de 46 à 56 fr., et pour 1841 de 32 fr. à 46, et qui donne selon lui, pour moyenne, en 1828, 52 fr., et en 1841 35 fr. ; diminution opérée, un tiers de la valeur.

Sans doute il y a là un progrès à l’avantage du consommateur, mais les maîtres de forges ont-ils fait jouir la consommation d’un bénéfice proportionné à celui qu’ils réalisaient eux-mêmes ? Est-il naturel de penser que dans cette période de quinze ans, pendant laquelle le fer laminé est descendu, grace aux efforts de la science et de la pratique combinés, à 150 fr. la tonne dans le pays de Galles et à 200 fr. en Belgique, l’industrie métallurgique en France ne soit pas parvenue à livrer le même produit en forge au-dessous de 28 à 30 francs ? Dans les autres industries, la valeur de la marchandise est réglée presque exclusivement par la concurrence intérieure, qui abaisse d’ordinaire le prix de vente à une limite assez voisine du prix de revient. Mais les fers échappent à cette loi générale. La fabrication à la houille étant concentrée dans quelques grands établissemens, les maîtres de forges sont maîtres du marché et peuvent mesurer exactement leur prix de vente à celui qu’obtiendraient en France les fers étrangers surchargés d’un droit de 206 fr. par tonneau. C’est ce qu’ils font, en se bornant à offrir au consommateur un avantage de 20 à 25 francs par tonneau. Quelquefois même ils ne lui laissent pas cette marge ; ainsi dans les derniers mois de 1841, le gouvernement français a payé les rails du chemin de Valenciennes 40 fr. 54 cent. les 100 kil., pendant que la même quantité revenait en Belgique à 19 fr. 90 cent. pour le chemin de Chatelineau à Charleroy. En ajoutant le droit de 20 francs 62 cent. au prix des rails belges, on trouve, à 2 centimes près ce même chiffres de 40 fr. 54 cent. que le gouvernement français a dû subir. En portant sa préférence sur les produits de nos usines, il y a gagné peut-être encore les 40 à 50 centimes par 100 kil. que le fer belge, pour atteindre notre frontière, aurait coûté de plus en frais de transport.

La nécessité d’une réduction dans le prix des fers est universellement comprise en France ; les maîtres de forges en ont eux-mêmes le sentiment, car M. Talabot promet dans son rapport un dégrèvement quelconque en échange du monopole, qu’il réclame pour nos usines, de la fabrication des rails. Mais il y aurait de la folie à attendre cette diminution de la seule volonté des producteurs. Ils ne l’accordent pas, aujourd’hui qu’ils pourraient le faire ; ils ne le pourraient pas plus tard, si le gouvernement et les chambres, cédant au vœu qu’ils expriment, leur livraient le monopole des fournitures qu’exige notre réseau de chemins de fer.

La production totale de la France en fer à la houille, le seul que l’on emploie pour les rails, était, en 1835, de 96,200 tonnes ; elle s’est élevée, en 1839, à 125,900 tonnes, ce qui représente un accroissement de 6,000 tonnes par an.