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belge, à travers une chaîne de montagnes et par un seul chemin de fer. Le marché français a pour lui la richesse ainsi que l’étendue ; il absorbe à lui seul les deux grands produits de la Belgique, les houilles et le lin ; pour point de départ, les échanges généraux représentent déjà une valeur annuelle de 150 millions.

Les affinités de la Belgique avec la France sont, indépendamment des intérêts et des souvenirs, la même origine révolutionnaire, une constitution pareille, la liberté qui leur est commune ainsi que le langage, les mêmes lois, et peu s’en faut la même administration. Tout ce qui est ressemblance du côté de la frontière française est différence du côté de la frontière allemande. Au-delà du Rhin, la langue française, cet instrument de civilisation, n’est plus parlée. Plus près déjà, et sur le seuil des provinces rhénanes, le régime représentatif s’efface, et l’on rencontre le gouvernement absolu. Quand il n’y aurait d’autre différence entre la Belgique et l’Allemagne qu’une presse libre ici, esclave là, l’une de ces contrées serait aux antipodes politiques de l’autre. Mais de cette inégalité entre les institutions découle aussi la diversité profonde dans les mœurs, dans les lois, dans l’administration. Or, la différence du langage et de la législation entre les peuples constitue une véritable incompatibilité.

Ce qui dispose les hommes d’état de la Belgique à une association avec l’Allemagne, c’est qu’ils imaginent que, l’union prussienne étant une fédération de plusieurs états, la prépondérance du plus fort ne se ferait pas sentir d’une manière assez décisive pour mettre en péril l’indépendance de leur pays. Ce qui les éloigne d’une association avec la France, c’est, au contraire, l’énorme disproportion de forces qui existerait entre les associés. Réduisons l’objection à sa juste valeur.

L’union allemande se compose, il est vrai, de plusieurs états légalement indépendans les uns des autres ; mais cette indépendance de droit n’existe pas en fait. Au-dessus de la fédération commerciale plane la confédération politique, que la Prusse et l’Autriche font mouvoir à leur gré ; la diète germanique leur sert à limiter, dans chaque état, l’autorité des chambres, le pouvoir des princes et la liberté de la pensée ; c’est une juridiction souveraine, qui tient les états de second et de troisième ordre dans une condition d’infériorité. En s’agrégeant à l’union allemande, la Belgique se mettrait donc en présence non pas de plusieurs intérêts, mais d’un seul ; elle serait bientôt subordonnée à la Prusse, qui pèserait sur elle de tout son poids.

Dans une association avec la France, la Belgique ne serait pas seule non plus. Il s’agit pour elle et pour nous, en ce moment, de poser la pierre d’attente d’une grande fédération, à laquelle la France convoque les peuples du Midi, et qui doit rallier successivement l’Espagne, la Suisse et la Savoie, immense faisceau qui, en respectant l’indépendance des états associés, armera chacun d’eux de la puissance de tous. Eu accédant à l’union allemande, la Belgique subirait des conditions déjà écrites sans que ses convenances aient été consultées. En accédant à l’union française, elle concourra à débattre et