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était visiblement absurde, quand on déclarait la Belgique libre, de lui refuser toute personnalité, de lui contester le droit qu’a le plus petit état en ce monde de choisir ses alliés et ses ennemis. Il était souverainement imprudent, quand la France renonçait à s’incorporer la Belgique, de concéder qu’une nation, qui est naturellement notre alliée la plus intime, qui a besoin de notre appui, et dont l’indifférence seule serait pour nous une inquiétude, pût être séparée à jamais de notre action. On acceptait ainsi l’impossible, et les évènemens l’ont déjà prouvé. Il a fallu par deux fois, lorsque l’Europe contemplait passivement l’invasion hollandaise, que la France couvrît la Belgique de son armée et pour ainsi dire de son corps. Mais la situation apparente est telle que, si l’on s’en tenait à la lettre des traités, au lieu de gagner à la séparation qui s’est violemment accomplie entre les deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas, nous y aurions perdu la possibilité d’une forte alliance et la liberté de nos mouvemens.

Telle qu’elle est cependant, la neutralité de la Belgique ne doit pas faire obstacle à son union commerciale avec la France. L’association de leurs douanes paraît au contraire le seul moyen de remédier aux conséquences les plus fâcheuses de cette neutralité, sans la violer. En effet, elle rapprocherait, par une étroite alliance d’intérêts, deux nations qui ne peuvent pas rester isolées l’une de l’autre ; et cela sans rendre leur union hostile ni menaçante pour l’être de raison que l’on est convenu d’appeler l’équilibre européen.

Il faut reconnaître que cette association aura nécessairement pour effet de rendre l’influence française prépondérante à Bruxelles, et réciproquement de faire que la voix du gouvernement belge soit plus écoutée à Paris. Mais cela est dans l’ordre naturel des relations politiques, et nous ne voyons pas en quoi la prédilection des deux peuples l’un pour l’autre détruirait, comme l’a prétendu un journal anglais, le Morning-Herald, cette neutralité qui est l’œuvre artificielle de la diplomatie. L’influence est un fait purement moral, sur lequel les traités ne peuvent rien et qui résulte librement du penchant des nations, des affinités politiques, des intérêts communs, des services rendus. Les Prussiens, qui secondèrent en 1831 la marche du prince d’Orange sur Bruxelles, n’ont pas apparemment la prétention de mériter la reconnaissance des Belges au même degré que les Français, à l’approche desquels l’armée du prince d’Orange se retira.

Au surplus, il est trop tard pour réclamer. Le jour où les grandes puissances de l’Europe n’ont pas cru devoir ou pouvoir s’opposer à l’alliance intime que le roi des Belges a contractée avec la famille du roi des Français, ce jour-là elles ont souscrit à l’influence que la France exerce légitimement en Belgique. ; elles ont compris, elles ont admis que les liens pour ainsi dire personnels aux deux pays devaient être cimentés et rendus durables ; l’Europe aurait donc aujourd’hui bien mauvaise grace, après avoir assisté, l’arme au bras, au mariage du roi Léopold avec une princesse de la maison d’Orléans, à se plaindre de ce que, le commerce belge faisant alliance avec le commerce français, la dépendance mutuelle va se resserrer.