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les vapeurs n’auraient convenu à Nicole, la servante de Molière. Le Livre Mystique est une de ces orgueilleuses tentatives que M. de Balzac a voulu faire dans tous les genres. Celui qui plus tard voulait être Beaumarchais se prit à rêver tout à coup l’auréole de Swedenborg. Ce qui aurait dû être salutaire à l’auteur d’Eugénie Grandet, le froid accueil que ces obscures divagations reçurent du public, lui devint nuisible au contraire, car son ame, que tant d’idées et de sentimens confus encombraient déjà, s’ouvrit alors à une hautaine mélancolie de grand homme méconnu qui depuis se retrouva dans toutes ses œuvres. Le Lys dans la Vallée, qui parut la même année que le Livre Mystique, fut précédé d’une préface où M. de Balzac commence à parler des douleurs bafouées de l’artiste. Ce prélude plaintif est suivi d’un roman qui présente l’assemblage des défauts les plus opposés. On y voit un incroyable mélange de prétentions ascétiques et d’instincts matériels. L’héroïne entremêle les propos d’amour séraphique qu’elle tient à son amant de confidences sur les tyrannies conjugales de son mari. Ce qui achève de rendre ce livre étrange, c’est qu’à côté de ces défauts se retrouvent souvent, dans toute leur force, les qualités particulières à M. de Balzac. N’avez-vous point rencontré quelquefois à un étalage de brocanteur quelque tableau noirci dont le mystérieux aspect attirait vos regards ? D’abord vous ne distinguiez que des objets confus ; le grand air et le temps avaient amassé sur la toile tant de voiles sombres, qu’il était impossible de voir nettement les personnages que ces voiles devaient cacher ; puis, par un hasard de lumière favorable, grace à un point de vue heureusement trouvé, il se détachait pour vous, sur ce fond ténébreux, des formes saisissantes : d’abord c’étaient des yeux dont le regard allait au-devant du vôtre, puis une bouche bien accusée, puis un front éclairé savamment, enfin toute une tête saillante et lumineuse de vierge, d’apôtre ou d’alchimiste. Eh bien ! en lisant le Lys dans la Vallée, comme presque tous les romans de M. de Balzac, vous voyez se renouveler un phénomène de cette nature. L’incorrection, le faux goût, l’extravagance, tous les fléaux du style, ont entassé tant de ténèbres sur la pensée, qu’il est d’abord presque impossible de la découvrir ; mais trouvez un point de vue d’où l’œil puisse plonger dans ces ténèbres, et vous verrez apparaître des figures qui vous étonneront par la vigueur de leurs contours. En définitive, le plus grave reproche à adresser au Lys dans la Vallée, c’est d’avoir fait circuler un instant un jargon digne des filles de Gorgibus. Les romanciers en vogue frappent la monnaie sentimentale qui sert aux com-