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ESSAIS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

cueille enfin, produit au cœur le même tumulte de sentimens opposés qu’un immense trésor tombé tout à coup entre vos mains. Tantôt on veut la couver comme un avare, tantôt on veut la répandre au dehors comme un prodigue. Les uns, poussés par une terreur aveugle, finissent par l’ensevelir ; les autres, poussés par des désirs insatiables, la jouent dans des parties hasardeuses, où il arrive presque toujours qu’ils la perdent. M. de Balzac fut de ces derniers. M. de Balzac devait être plus que tout autre sujet aux éblouissemens de la célébrité, car je ne sais nul homme qui l’ait conquise par plus de recherches inquiètes et de pénibles efforts. Dernièrement, il vient de désavouer, avec un superbe dédain, en tête du nouveau recueil de ses œuvres, tous les romans de Villerglé, de Saint-Aubin, de lord R’Hoone, et il déclare d’avance coupable de calomnie quiconque persisterait à les lui attribuer. À Dieu ne plaise que nous voulions encourir un pareil reproche ! Comme il l’a dit fort bien, il use d’un droit que nous ne prétendons pas lui contester. En feuilletant le code civil pour y chercher les articles oppresseurs contre lesquels protestent ses héroïnes, l’auteur des Scènes de la Vie privée a pu y rencontrer cet axiome : la recherche de la paternité est interdite. Nous trouvons, quant à nous, qu’il y a comme une grace digne et touchante à l’aveu sincère de l’écrivain qui, parvenu au but de ses désirs, rappelle avec attendrissement à son propre cœur et à quelques cœurs amis les premières et humbles filles de son imagination. Goethe, en nous parlant, dans ses mémoires, des épithalames qu’il composait aux premières années de sa jeunesse pour les bourgeois de Francfort, nous touche infiniment plus que s’il nous déclarait d’un ton superbe qu’il a commencé par le drame de Faust ou par les stances du Divan. Il n’est rien de plus naturel à l’ame d’un artiste que de conserver toujours une naïve tendresse pour les œuvres des débuts, œuvres informes, mais qu’on chargeait de tant d’espérances et qu’on a si franchement aimées. Je suis persuadé que plus d’un grand peintre garde dans le coin de son atelier, pour les contempler parfois d’un regard souriant et rêveur, des toiles imparfaites qui accusent les tâtonnemens de son génie. M. de Balzac a voulu effacer toute trace des hésitations de son talent ; cela lui est permis. En désavouant les œuvres qu’on lui attribue, il aurait pu nier en même temps qu’il eût jamais touché une plume avant le Dernier Chouan et la Physiologie du Mariage. C’est une déclaration qu’il avait aussi le droit de faire et que nous aurions certainement respectée ; mais comme il ne l’a pas faite, comme il avoue au contraire qu’il a effectivement écrit dans la pé-