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de Séville de trop nombreuses traces de son passage. Cette manie de bâtir un palais dans un autre est des plus funestes et des plus communes, et ce qu’elle a détruit de monumens historiques pour leur substituer d’insignifiantes constructions est à jamais regrettable. L’enceinte de l’Alcazar renferme des jardins dessinés dans le vieux goût français avec des ifs taillés dans les formes les plus bizarres et les plus tourmentées.

Puisque nous sommes en train de visiter les monumens, entrons quelques instans à la manufacture de tabac qui est à deux pas. Ce vaste bâtiment, très bien approprié à son usage, renferme une grande quantité de machines à raper, à hacher et triturer le tabac, qui font le bruit d’une multitude de moulins et sont mises en activité par deux ou trois cents mules. C’est là que se fabrique el polbo sevillano, poussière impalpable, pénétrante, d’une couleur jaune d’or, dont les marquis de la régence aimaient à saupoudrer leurs jabots de dentelle : la force et la volatilité de ce tabac sont telles que l’on éternue dès le seuil des salles dans lesquelles on le prépare. Il se débite par livre et demi-livre dans des boîtes de ferblanc. L’on nous conduisit aux ateliers où se roulent les cigares en feuilles. Cinq à six cents femmes sont employées à cette préparation. Quand nous mîmes le pied dans leur salle, nous fûmes assaillis par un ouragan de bruits : elles parlaient, chantaient et se disputaient toutes à la fois. Je n’ai jamais entendu un vacarme pareil. Elles étaient jeunes pour la plupart, et il y en avait de fort jolies. Le négligé extrême de leur toilette permettait d’apprécier leurs charmes en toute liberté. Quelques-unes portaient résolument à l’angle de la bouche un bout de cigare avec l’aplomb d’un officier de hussards ; d’autres, — Ô muse, viens à mon aide ! — d’autres… chiquaient ! car on leur laisse prendre autant de tabac qu’elles en peuvent consommer sur place. Elles gagnent de quatre à six réaux par jour. — La cigarrera de Séville est un type, comme la manola de Madrid. Il faut la voir, le dimanche ou les jours de courses de taureaux, avec sa basquine frangée d’immenses volans, ses manches garnies de boutons de jais, et le puro dont elle aspire la fumée, et qu’elle passe de temps à autre à son galant.

Pour en finir avec toutes ces architectures, allons faire une visite au célèbre hospice de la Caridad, fondé par le fameux don Juan de Marana, qui n’est nullement un être fabuleux, comme on pourrait le croire. Un hospice fondé par don Juan ! Eh ! mon Dieu, oui. — Voici comment la chose arriva. Une nuit don Juan, sortant d’une orgie, rencontra un convoi qui se rendait à l’église de Saint-Isidore : péni-