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CORDOUE ET SÉVILLE.

Il est vrai que l’on dit chaque jour cinq cents messes aux quatre-vingts autels ! Le catafalque qui sert pendant la semaine sainte, et qu’on appelle le monument, a près de cent pieds de haut. Les orgues, d’une proportion gigantesque, ont l’air des colonnades basaltiques de la caverne de Fingal, et pourtant les ouragans et les tonnerres qui s’échappent de leurs tuyaux, gros comme des canons de siége, semblent des murmures mélodieux, des gazouillemens d’oiseaux et de séraphins sous ces ogives colossales. On compte quatre-vingt-trois fenêtres à vitraux de couleur peints d’après des cartons de Michel-Ange, de Raphaël, de Dürer, de Pérégrino, de Tibaldi et de Lucas Cambiaso ; les plus anciens et les plus beaux ont été exécutés par Arnold de Flandre, célèbre peintre verrier. Les derniers, qui datent de 1819, montrent combien l’art a dégénéré depuis ce glorieux XVIe siècle, époque climatérique du monde, où la plante-homme a porté ses plus belles fleurs et ses fruits les plus savoureux. Le chœur, de style gothique, est enjolivé de tourelles, de flèches, de niches découpées à jour, de figurines, de feuillages, immense et minutieux travail qui confond l’imagination et ne peut plus se comprendre de nos jours. L’on reste vraiment attéré en présence de pareilles œuvres, et l’on se demande avec inquiétude si la vitalité se retire chaque siècle du monde vieillissant. Ce prodige de talent, de patience et de génie, porte du moins le nom de son auteur, et l’admiration trouve sur qui se fixer. Sur l’un des panneaux du côté de l’Évangile est tracée cette inscription : Este coro fizo Nufro Sanchez entallador que Dios haya año de 1475. — Nufro Sanchez, sculpteur, que Dieu ait en sa garde, fit ce chœur en 1475.

Essayer de décrire l’une après l’autre les richesses de la cathédrale serait une insigne folie : il faudrait une année tout entière pour la visiter à fond, et l’on n’aurait pas encore tout vu ; des volumes ne suffiraient pas à en faire seulement le catalogue. Les sculptures en pierre, en bois, en argent, de Juan de Arfé, de Joan Millan, de Montañes, de Roldan, les peintures de Murillo, de Zurbaran, de Pierre Campana, de Roëlas, de don Luiz de Villegas, des Herrera vieux et jeune, de Juan Valdès, de Goya, encombrent les chapelles, les sacristies, les salles capitulaires. L’on est écrasé de magnificences, rebuté et saoul de chefs-d’œuvre, on ne sait plus où donner de la tête ; le désir et l’impossibilité de tout voir vous causent des espèces de vertiges fébriles ; l’on ne veut rien oublier, et l’on sent à chaque minute un nom qui vous échappe, un linéament qui se trouble dans votre cerveau, un tableau qui en remplace un autre. L’on fait à sa