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brillans dans la nuit du passé, et dont elle n’a plus que la cendre.

Le badigeon, au grand désappointement des voyageurs et des antiquaires, règne en souverain à Séville ; les maisons mettent trois, quatre fois par an des chemises de chaux, ce qui leur donne un air de soin et de propreté, mais dérobe aux investigations les restes des sculptures arabes ou gothiques qui les ornaient anciennement. Rien n’est moins varié que ces réseaux de rues, où l’œil n’aperçoit que deux teintes : l’indigo du ciel et le blanc de craie des murailles, sur lesquelles se découpent les ombres azurées des bâtimens voisins, car dans les pays chauds les ombres sont bleues au lieu d’être grises, de façon que les objets semblent éclairés d’un côté par le clair de lune et de l’autre par le soleil ; cependant l’absence de toute teinte sombre produit un ensemble plein de vie et de gaieté. Des portes fermées par des grilles laissent apercevoir à l’intérieur des patios ornés de colonnes, de pavés en mosaïques, de fontaines, de pots de fleurs, d’arbustes et de tableaux. Quant à l’architecture extérieure, elle n’a rien de remarquable ; la hauteur des constructions dépasse rarement deux ou trois étages, et à peine compterait-on une douzaine de façades intéressantes pour l’art. Le pavé est en petits cailloux comme celui de toutes les villes d’Espagne, mais il est rayé, en manière de trottoirs, de bandes de pierres plates assez larges sur lesquelles la foule marche à la file ; le pas est toujours cédé aux femmes, en cas de rencontre, avec cette exquise politesse naturelle aux Espagnols même de la plus basse classe. Les femmes de Séville justifient leur réputation de beauté ; elles se ressemblent presque toutes, ainsi que cela arrive dans les races pures et d’un type marqué ; leurs yeux fendus jusqu’aux tempes, frangés de longs cils bruns, ont un effet de blanc et noir inconnu en France. Lorsqu’une femme ou une jeune fille passe près de vous, elle abaisse lentement ses paupières, puis elle les relève subitement, vous décoche en face un regard d’un éclat insoutenable, fait un tour de prunelle et baisse de nouveau les cils. La bayadère Amany, lorsqu’elle dansait le pas des colombes, peut seule donner une idée de ces œillades incendiaires que l’Orient a léguées à l’Espagne ; nous n’avons pas de terme pour exprimer ce manége de prunelles, ojear manque à notre vocabulaire. Ces coups d’œil d’une lumière si vive et si brusque, qui embarrassent presque les étrangers, n’ont cependant rien de précisément significatif, et se portent indifféremment sur le premier objet venu ; une jeune Andalouse regardera avec ces yeux passionnés une charrette qui passe, un chien qui court après sa queue, des enfans qui jouent au taureau. Les yeux des