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CORDOUE ET SÉVILLE.

L’entrée d’Ecija est assez pittoresque ; l’on y arrive par un pont au bout duquel s’élève une porte en arcade d’un effet triomphal. Ce pont traverse une rivière qui n’est autre que le Genil de Grenade, et qu’obstruent des ruines d’arches antiques et des barrages pour les moulins ; quand on l’a franchi, l’on débouche dans une place plantée d’arbres, ornée de deux monumens d’un goût baroque. L’un consiste en une statue de la sainte Vierge dorée et posée sur une colonne dont le socle évidé forme comme une espèce de chapelle, enjolivée de pots de fleurs artificielles, d’ex-voto, de couronnes de moelle de roseau, et de tous les colifichets de la dévotion méridionale. L’autre est un saint Christophe gigantesque, aussi de métal doré, la main appuyée sur un palmier, canne proportionnée à sa grandeur, et portant sur l’épaule, avec les contractions de muscles les plus prodigieuses et des efforts à soulever une maison, un tout petit enfant Jésus d’une délicatesse et d’une mignonnerie charmantes. Ce colosse, attribué au sculpteur florentin Torregiani, qui écrasa d’un coup de poing le nez de Michel-Ange, est juché sur une colonne d’ordre salomonique, (c’est le nom qu’on donne ici aux colonnes torses), de granit rose tendre, dont la spirale se termine à mi-chemin en volutes et en fleurons extravagans. J’aime beaucoup les statues ainsi posées ; elles produisent plus d’effet, se voient de plus loin et à leur avantage. Les socles ordinaires ont quelque chose de massif et d’épaté qui ôte de la légèreté aux figures qu’ils supportent.

Ecija, bien qu’en dehors de l’itinéraire des touristes et généralement peu connue, est cependant une ville très intéressante, d’une physionomie toute particulière et très originale. Les clochers qui forment les angles les plus aigus de sa silhouette ne sont ni byzantins, ni gothiques, ni renaissance ; ils sont chinois, ou plutôt japonais ; vous les prendriez pour les tourelles de quelque miao dédié à Kong-fu-tzée, Boudha ou Fo, car ils sont revêtus entièrement de carreaux de porcelaine ou de faïence coloriés des teintes les plus vives et couverts de tuiles vernissées vertes et blanches disposées en damier et de l’aspect le plus étrange du monde. Le reste de l’architecture n’est pas moins chimérique, et l’amour du contourné y est poussé à ses dernières limites. Ce ne sont que dorures, incrustations, brèches et marbres de couleurs chiffonnés comme des étoffes, que guirlandes de fleurs, lacs d’amour, anges bouffis, tout cela enluminé, fardé, d’une richesse folle et d’un mauvais goût sublime.

La Calle de los Caballeros, où demeure la noblesse et qui renferme les plus beaux hôtels, est vraiment quelque chose de miraculeux