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che avant d’avaler le morceau. Ce sont eux qui ont l’air de faire une grace au gouvernement anglais en acceptant son argent. « L’état du Maine, disent les commissaires américains, a toujours eu une répugnance insurmontable à céder aucune portion du territoire qui lui est contesté pour une simple indemnité pécuniaire. Il ne vient point ici pour marchander des acres dans un esprit de trafic. » Ce que disant, l’état du Maine prend les 300,000 dollars et les partage avec son confrère de Massachusetts. Nous avons déjà dit comment M. Webster se trouvait forcé de négocier d’abord avec les états limitrophes avant de négocier directement avec le plénipotentiaire anglais. Nous trouvons donc, dans le recueil de la correspondance, des notes de l’état du Maine et de l’état de Massachusetts ; ces notes sont des merveilles de mauvais ton, de mauvais langage et de fanfaronnade. Il est évident que ces deux diminutifs d’états, ces deux contrefaçons de gouvernement, s’exagèrent la place qu’ils occupent dans le monde. Rien de plus plaisant que les façons de condescendance avec lesquelles ils consentent à se laisser indemniser par considération pour les désirs de l’Union. Écoutez les commissaires du Maine : « Durant de longues années, disent-ils, nous avons lutté, pour maintenir nos droits, avec un esprit pacifique et cependant indomptable… Néanmoins il nous reste encore à apprendre que des prétentions continuellement réitérées peuvent, avec le temps, devenir un droit, par cela seul qu’elles ont été maintenues. » Et, après avoir ainsi disposé des prétentions de l’Angleterre, ils continuent : « Mais nous prenons en considération l’espoir que le gouvernement et le peuple de ce pays ont conçu d’arriver à un arrangement, et le grand désappointement que leur causerait un nouveau délai. »

Quelle clémence ! Ne dirait-on pas que l’état du Maine se sacrifie sur l’autel de la patrie ? Ce même ton de forfanterie se retrouve dans tout le langage des commissaires américains. L’Angleterre, en dépit de la modération nécessaire qu’elle apporte dans cette négociation, nous paraît encore y faire meilleure figure, aux yeux des nations policées, que ces deux embryons de gouvernemens parlementaires qui, tenant par hasard entre leurs mains le sort de deux grandes nations, ne se servent de leurs droits constitutionnels que pour les exploiter, et qui ne cherchent qu’à se faire payer plus cher en menaçant de parodier Érostrate et de mettre le feu aux deux parties du monde.

Muni de l’autorisation des deux états frontières, M. Webster propose enfin, le 27 juillet, une ligne de démarcation définitive ; deux jours après, lord Ashburton signifie son acceptation, et, le 9 août, le traité est signé à Washington. En résumant les points principaux de la négociation, nous trouvons les résultats suivans : La ligne générale de démarcation est fixée par le cours du fleuve Saint-Jean ; par ce règlement, la Grande-Bretagne renonce à la portion la plus fertile et la plus considérable du territoire contesté, mais, par la portion qu’elle se réserve, elle s’assure une ligne de communication entre ses possessions du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Cet unique avantage ne compenserait point les sacrifices qu’elle a faits en abandonnant des sujets fidèles et en livrant passage aux républicains de l’Amé-