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DIPLOMATIE ÉTRANGÈRE.

vais effet en Angleterre et a été censurée avec beaucoup d’amertume. Il était, en effet, inutile et maladroit de tant faire valoir les titres de la Grande-Bretagne à cet endroit, puisqu’on devait se résoudre à les sacrifier.

Une autre concession faite par le plénipotentiaire anglais, et qui est de la plus grande importance, c’est la faculté accordée aux Américains de naviguer librement sur le Saint-Jean jusqu’à la mer, à travers la province anglaise du Nouveau-Brunswick. Il a été stipulé en effet dans le traité que tous les produits non manufacturés du pays arrosé par le Saint-Jean ou ses tributaires pourraient descendre la rivière jusqu’à la mer, et que les produits américains, lorsqu’ils traverseraient le Nouveau-Brunswick, seraient admis dans les ports de cette province anglaise comme des produits anglais. Cette concession, qui a aussi excité, et à juste titre, une réprobation universelle en Angleterre, avait été dans tous les temps vivement sollicitée par l’état du Maine. Lord Ashburton croyait donc qu’elle serait accueillie par les États-Unis avec beaucoup de reconnaissance : pas du tout ; M. Webster se contente de répondre que le transport des produits américains par la rivière sera probablement aussi avantageux au Nouveau-Brunswick qu’à l’état du Maine. En face de cette indifférence affectée, le pacifique lord Ashburton est près de sortir de son caractère : « L’usage de la rivière, dit-il, avec des avantages égaux à ceux des sujets anglais, est maintenant traité comme chose de peu d’importance : cette manière d’agir n’est pas rare quand une fois une concession est assurée ; mais je vous demanderai la permission de vous rappeler qu’il n’en a pas toujours été de même. Cette faculté a toujours été sollicitée par vous, et toujours refusée par nous. Mon gouvernement regarde cette concession comme très importante. »

On peut en effet considérer cette concession comme la plus dangereuse que lord Ashburton ait faite, car elle donne aux Américains un accès toujours libre jusqu’au cœur des possessions anglaises. La Grande-Bretagne conserve bien la police de la rivière, mais elle n’a pas le droit de faire des règlemens incompatibles avec les termes du traité. Il peut se rencontrer des cas sans nombre où il serait nécessaire pour elle de pouvoir barrer le passage ; malheureusement elle s’est lié les mains. Du reste, dès que le Saint-Jean devenait un fleuve limitrophe, il était difficile que la navigation n’en fût pas commune. C’est un principe posé par le traité de Vienne et universellement reconnu aujourd’hui, que les fleuves qui séparent ou traversent des états indépendans doivent être entièrement libres et ouverts au commerce de ces états jusqu’à leur embouchure.

Cependant les États-Unis, tout en faisant fi de ce qu’on leur accordait, prenaient toujours, et, l’appétit leur venant en mangeant, plus on leur offrait, plus ils demandaient. Lord Ashburton avait déjà cédé les trois quarts du territoire contesté, il avait cédé la moitié de « l’heureuse et paisible colonie de Madawaska, » il avait cédé la libre navigation du Saint-Jean à travers le Nouveau-Brunswick, et en fin de compte, au lieu de lui faire des remerciemens, les États-Unis lui demandaient encore de l’argent. Il avait offert de payer aux états du Maine et de Massachusetts une indemnité de 300,000 dollars : les deux états n’avaient garde de refuser ; mais il faut les voir faire la petite bou-