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HISTORIENS ESPAGNOLS.

assaillans ou ne firent aucun effort pour les arrêter. En même temps courait dans la ville une rumeur confuse d’armes et de cris. Chaque maison offrait une scène d’horreur : on incendiait les unes, on ruinait les autres ; aucune n’était respectée par la fureur populaire. La sainteté des temples était oubliée ; les asiles sacrés des cloîtres n’arrêtaient pas l’audace des assassins. Il suffisait d’être Castillan pour être mis en pièces, sans autre examen. Les habitans eux-mêmes étaient assaillis au moindre soupçon. Quiconque ouvrait sa porte aux victimes ou la fermait aux furieux était puni de sa pitié comme d’un crime. Les prisons furent forcées ; les criminels en sortirent non seulement pour être libres, mais pour commander.

« En entendant les cris de ceux qui le cherchaient, le comte comprit que sa dernière heure était arrivée. Déposant alors les devoirs du grand, il céda aux instincts de l’homme. Dans son trouble, il revint à son premier projet d’embarquement. Il sortit une seconde fois pour se rendre au rivage ; mais comme il n’y avait pas de temps à perdre, et que l’accablement retardait sa marche, il ordonna à son fils de prendre les devans avec sa faible suite, pour rejoindre le canot de la galère qui se tenait à portée non sans péril, et de l’y attendre. Ne comptant pas sur sa fortune, il voulait assurer au moins la vie de son fils. Le jeune homme obéit et atteignit l’embarcation, mais il lui fut impossible de la retenir près du rivage, tant on redoublait d’efforts du côté de la ville pour la couler. Il navigua donc vers la galère, qui attendait hors du feu de la batterie. Le comte s’arrêta et regarda le canot s’éloigner avec des larmes bien pardonnables chez un homme qui se sépare à la fois de son fils et de son espérance. Sûr de sa perte, il revint d’un pas chancelant par le rivage qui fait face aux coteaux de Saint-Bertrand, sur la route de Monjuich.

« Cependant son palais était envahi et sa disparition connue de tous ; on le cherchait avec fureur de tous les côtés, comme si sa mort devait être le couronnement de cette journée. Ceux de l’arsenal ne le perdaient pas de vue. Tous les yeux étant fixés sur lui, il vit bien qu’il ne pouvait échapper à ceux qui le suivaient. La chaleur du jour était grande, plus grande l’angoisse, certain le péril, vif et profond le sentiment de sa honte. L’arrêt avait été prononcé par le tribunal infaillible. Il tomba par terre en proie à un évanouissement mortel. C’est dans cet état qu’il fut trouvé par quelques-uns de ceux qui le cherchaient, et tué de cinq blessures à la poitrine. Ainsi mourut don Dalmau de Queralt, comte de Santa-Coloma. Triste leçon