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Philippe IV n’avait pas marché en personne contre les rebelles, Richelieu n’avait pas pris Perpignan ; le mouvement de Barcelone n’avait encore d’autre valeur que celle d’un épisode isolé et en quelque sorte domestique.

Il est extrêmement fâcheux que Melo n’ait pas écrit toute l’histoire de la guerre de Catalogne. Au lieu d’être un fragment précieux, son livre serait un monument. Mais, si l’ouvrage a peu d’importance historique, il n’en est pas de même sous le rapport littéraire. Melo réalise l’idéal que Mendoza avait cherché. Sa manière est la complète harmonie des formes grecques et latines et du génie espagnol. Ses compatriotes, grands amis de comparaisons antiques, disent que c’est le Tacite de l’Espagne. Il n’y a pas trop d’exagération dans cet ambitieux rapprochement. Le style de Melo n’est pas tout-à-fait exempt de l’enflure nationale ; c’est le seul défaut qu’on puisse lui reprocher. Du reste, il est ferme, énergique, concis, et en même temps animé et pittoresque. Ses jugemens sont plus raisonnés que ceux de Mendoza, ses réflexions mieux appropriées. Quant au point de vue, il est le même. Melo n’est pas moins sévère pour le despotisme de Philippe IV, que Mendoza pour celui de Philippe II. Il est remarquable que les deux plus beaux fragmens historiques que possède l’Espagne soient des critiques de son gouvernement.

Le premier livre contient le récit du soulèvement de Barcelone et de l’assassinat du comte de Santa-Coloma, vice-roi. Nous allons essayer de traduire la dernière partie de ce récit, qui passe pour un chef-d’œuvre. On y verra que les émeutes se ressemblent beaucoup dans tous les temps. On trouve dans celle-ci tout ce qui caractérise de nos jours ces sortes d’échauffourées en Espagne, et même ailleurs : la sourde agitation du peuple au début, la complicité tacite des magistrats municipaux, le petit nombre et la bassesse des hommes d’action, l’abandon complet des représentans de l’autorité centrale, les lâches conseils, les précautions timides, la crainte de la responsabilité, la milice fraternisant avec les mutins, le désordre pénétrant peu à peu partout et relâchant tous les liens du devoir et de l’obéissance, la fureur populaire une fois déchaînée se portant aux plus grands excès, et quelquefois une catastrophe sanglante terminant la tragédie. Malgré son penchant pour la cause des Catalans, Melo ne flatte pas le portrait ; il le peint au contraire des plus vigoureuses couleurs, de sorte qu’il semble avoir donné le programme éternel, et comme la formule générale des fameux pronunciamientos.

« Le mois de juin venait de commencer. C’est l’usage antique de