Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
REVUE DES DEUX MONDES.

talan. Il n’aurait pu donner à son travail un côté piquant et neuf qu’en contrôlant, à l’aide des historiens grecs, le récit de Muntaner ; mais cet avantage même lui était interdit, car l’orgueil national ne s’en serait pas accommodé. Ce Muntaner, qui fait le saint homme quand il est devenu vieux, et qui reçoit avec tant de dévotion les avertissemens divins, n’était pas, à ce qu’il paraît, aussi scrupuleux qu’il le dit quand il était en Romanie avec les siens. Pachymère et Nicéphore parlent des Aragonais et des Catalans de la grande compagnie, qu’ils appellent des Italiens, comme d’une véritable peste qui se serait répandue dans l’empire d’Orient. D’après leur version, l’empereur aurait eu mille fois raison d’essayer de se débarrasser de ces auxiliaires incommodes, qui étaient plus insolens et plus avides que les Turcs eux-mêmes. Il est probable, en effet, que des soldats de métier, qui n’avaient d’autres moyens d’existence que leur épée, ne se distinguaient guère par toutes les vertus que leur prête libéralement Muntaner. Il y aurait là une recherche curieuse à faire pour qui n’aurait d’autre intérêt que celui de la vérité. Moncada n’y pouvait pas songer ; il était forcé de prendre le sujet par son côté brillant, patriotique, et il ne pouvait être alors que ce qu’il est, la doublure de Muntaner.

Or, Muntaner raconte à merveille, lui aussi. Toute cette campagne n’est qu’une suite de batailles, et il décrit les batailles avec un feu admirable, en homme qui s’y comportait si bravement, qu’il reçut en un seul jour treize blessures entre lui et son cheval. Vous croiriez par momens lire Montluc, avec qui il a beaucoup de rapports, comme soldat et comme écrivain. On voit qu’il se plaît au milieu des camps et qu’il aime la bagarre pour elle-même. Quand il faut dire une bonne fanfaronnade, il ne recule pas. Il n’est pas embarrassé non plus quand il faut faire le bon apôtre, comme on a vu. Aussi ne pouvons-nous que plaindre Moncada d’avoir dépensé tant de goût et de beau langage pour un sujet déjà épuisé, et, sans nous arrêter plus long-temps à l’expédition catalane, nous allons passer au troisième écrivain du Tesoro, à l’historien de la révolte de la Catalogne, Melo. Avec lui nous retrouverons l’originalité d’un sujet contemporain, l’importance politique qui manque aussi à ce roman militaire de la grande compagnie, et de plus ce qu’a de coulant et de net le style de Moncada uni à ce qu’a de fort et d’antique la manière de l’historien de la guerre de Grenade.

Il y a entre Melo et Moncada un intervalle de temps un peu plus court qu’entre Moncada et Mendoza. Mendoza écrivait vers 1570,