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plus un volume, et ne comprend que 120 pages de l’édition compacte de M. Ochoa. La question d’art et de style y domine. Ni Lopez de Ayala, ni Hernando del Pulgar, ni aucun des chroniqueurs qui avaient précédé, n’avaient été, à proprement parler, des écrivains, des historiens ; Mendoza est bien le premier. Mariana l’a suivi de près, mais n’a pas été tout-à-fait son contemporain.

Il a d’ailleurs, au milieu de toute cette affectation latine, un autre genre de recherche qui devrait désarmer les critiques romantiques : c’est le goût de l’archaïsme. On peut voir, il est vrai, dans ce nouveau trait, une autre imitation de l’antique, et en particulier de Salluste, qui aimait aussi les vieux mots et les vieilles tournures de langage ; mais il est plus naturel d’en faire honneur à un retour instinctif de Mendoza vers le génie de son pays. Il fait beau voir ce vieux guerrier, ce vieux politique, ce vieux hidalgo, recherchant avec soin toutes les locutions qui ont une antique saveur espagnole, et les enchâssant de son mieux dans les formes latines de son style. Rien n’a plus grand air et plus noble figure de gentilhomme, et c’est une manière qui sied bien au descendant de l’illustre maison de Mendoza. Par là aussi l’écrivain gagne un peu de cette originalité si précieuse, si recherchée ; il n’est pas seulement érudit et classique, il est encore Castillan, et des meilleurs ; sous ce rapport, il n’est pas sans quelque ressemblance avec ces anciens seigneurs français qui nous ont laissé de si vivans modèles de la bonne vieille langue féodale.

Tout cela suffirait déjà pour constituer une véritable personnalité d’écrivain ; il faut y joindre le caractère de l’homme, qui se peint dans ce qu’il écrit. Mendoza a des passions et des idées à lui. On sent qu’il n’aime pas les rigueurs exercées contre les Maures. La persécution contre les Maures n’a jamais été véritablement populaire en Espagne ; c’était le pouvoir royal et non l’esprit public qui s’était fait oppresseur. On retrouve dans les romances, dans les chroniques, dans tous les documens du temps, des marques nombreuses de la sympathie des Espagnols pour une nation brave et brillante, qui s’était noblement défendue. Dans la pièce de Calderon citée plus haut, le beau rôle appartient aux Maures. Mendoza n’a pas été tout-à-fait aussi loin que Calderon, mais tout son livre est un blâme indirect de la politique suivie par Philippe II. Voilà pourquoi on mit tant de ménagemens à le publier. On n’attendit pas seulement que le terrible roi fût mort ; on voulut encore que son fils Philippe III, qui avait suivi son système de persécution, fût mort aussi. Les sentimens de modération et d’humanité à l’égard des Maures étaient