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HISTORIENS ESPAGNOLS.

ce qu’elle a de plus sonore et de plus superbe. Il est impossible surtout de rendre en français l’effet que fait dans la période cette courte phrase : Le roi sortant de son repos et marchant à la révolte (el rey salir de su reposo y acercarse a ella) ; on croit voir toute cette puissante monarchie de Philippe II se soulevant avec effort dans ses fondemens pour écraser une poignée de révoltés. Rien n’est magnifique aussi comme la fin de cette longue tirade où l’auteur fait intervenir Dieu avec tant de majesté au milieu des luttes sanglantes des hommes : Si bien qu’il y eut souvent lieu de douter qui de nous ou des ennemis Dieu avait voulu punir, jusqu’à ce qu’enfin l’issue eût montré que nous étions les menacés (amenazados) et eux les châtiés (castigados). Amenazados, castigados, mots amples et retentissans dont la pompeuse redondance termine dignement une des pages les plus solennelles qu’on ait jamais écrites !

Mendoza continue sur ce ton, et, en s’appliquant de plus en plus à donner à son récit les formes de l’histoire antique, il trace des caractères et des descriptions, il dispose des scènes et des épisodes, il tire des enseignemens, il accompagne chaque fait important de réflexions et de sentences ; il pousse l’imitation jusqu’à mettre des discours dans la bouche de ses personnages, et, dans ces discours, il reproduit fidèlement les tours les plus caractéristiques de ses modèles. Dans son premier livre, il suppose une allocution de Fernand de Valor aux Maures pour les exciter à la révolte, et là se retrouvent tous les procédés employés en pareil cas par Tacite ou par Salluste, tels que le brusque passage du discours direct au discours indirect, et réciproquement. Tous ces emprunts sont faits avec une énergie et une puissance remarquables ; l’espagnol, enfant du latin, se prête sans trop d’effort à tout ce que veut Mendoza. C’est à la fois une résurrection et une création.

Les critiques modernes trouveront sans doute que cette manière manque trop d’originalité pour mériter d’être admirée. Nous ne sommes pas tout-à-fait de cet avis. L’originalité est sans doute une grande qualité, mais ce n’est pas la seule. Il n’y a pas seulement des différences dans l’humanité, il y a aussi des ressemblances. Autant il serait tyrannique de prétendre tout ramener, dans l’art comme dans la société, à un type commun, autant il serait funeste au véritable goût de ne rechercher, de n’estimer que la diversité. L’originalité, quand elle est franche et de bon aloi, a un très grand charme, mais ce charme même n’est pas suffisant s’il est isolé. Ce n’est pas tout d’avoir une physionomie à part, il faut encore que cette phy-