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tume de pourvoir à de plus grandes affaires ; et ce ne sera pas une peine perdue que de montrer de quels misérables principes, de quelles causes imperceptibles peuvent naître de grands embarras, des difficultés et des malheurs publics presque sans remède. On verra une guerre de peu d’apparence au dedans, mais considérée au dehors comme de grande conséquence ; qui, tant qu’elle dura, tint attentifs et non sans espérance les princes amis et ennemis, de loin et de près ; d’abord cachée et soignée en secret, puis découverte et grossie par la peur des uns et l’ambition des autres ; la tourbe que j’ai dite se ramassant petit à petit et parvenant à se réunir en manière d’armée ; l’Espagne contrainte de soulever toutes ses forces pour étouffer le feu ; le roi sortant de son repos et marchant à la révolte ; puis remettant le soin de l’affaire à son frère don Juan d’Autriche, fils de l’empereur don Carlos, à qui le souvenir des victoires de son père avait fait un devoir de rendre bon compte de lui-même, ce qu’il fit en effet ; enfin des combats de chaque jour contre l’ennemi ; le froid, la chaleur, la faim ; défaut de munitions et d’appareils de toute sorte ; des pertes renaissantes, des morts à n’en pas finir ; jusqu’à ce que nous vîmes les rebelles, nation belliqueuse et armée, confiante dans ses montagnes et dans le secours des Barbares et des Turcs, vaincus, rendus, arrachés de leur terre, dépossédés de leurs biens ; les hommes et les femmes pris et enchaînés, les enfans captifs et vendus à l’encan ou forcés à habiter un pays lointain ; une captivité, une transmigration nationale non moindre qu’aucune de celles qui se lisent dans les histoires. Victoire incertaine et si pleine de périls, que souvent il y eut lieu de douter qui de nous ou des ennemis Dieu avait voulu punir, jusqu’à ce qu’enfin l’issue eût montré que nous étions les menacés et eux les châtiés. Qu’ils acceptent donc, qu’ils accueillent cette œuvre de ma volonté libre, dégagée de toute haine et de tout amour, ceux qui voudront voir un exemple et prendre une leçon, seule récompense que je prétende pour mon travail, et sans qu’il reste de mon nom aucune autre mémoire ! »

Quoique nous ayons traduit aussi littéralement qu’il nous a été possible, nous n’espérons pas avoir donné une idée de la concision énergique de ce morceau. Le défaut du style de Mendoza, c’est la recherche dans la brièveté, l’obscurité, l’embarras ; sa grande qualité est la saillie, le relief puissant, la force. Nous craignons bien de ne lui avoir laissé que ses défauts. L’imitation de Salluste et de Tacite y est sensible ; on y trouve la coupe latine dans toute sa savante et expressive hardiesse, et en même temps l’emphase espagnole dans