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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

l’avoue, une pleine estime et une certaine confiance : rien ne me paraît plus avéré, moins discutable, que l’honnêteté de Gillot, de Le Roy, de Nicolas Rapin, que le patriotisme et la modération de Passerat et de Florent Chrestien, enfin que l’austère intégrité de Pithiou. Prêtres, magistrats, soldats, professeurs, tous étaient des citoyens honorables, catholiques sincères, mais sans intolérance, et qui aimaient mieux voir à leur drapeau des couleurs françaises que des couleurs espagnoles ou lorraines. Leur livre cependant, si ingénieux, si vif, si frappant de vérité qu’il semble, est une parodie, une satire. Il n’est donc légitime d’arriver à des conséquences analogues que par la voie sévère de l’histoire, que par les faits seuls, et avec la perpétuelle méfiance du parti pris, avec la sage réserve qu’impose l’amour de la vérité. La Satire Ménippée doit être mise provisoirement à l’écart tant qu’on n’a pas approché les acteurs de la ligue dans leur intimité, tant qu’on n’a pas pénétré le jeu secret de ces intrigues, de ces passions, de ces intérêts, de ces idées aussi que vinrent servir, puis renverser les évènemens.

Aucun ouvrage, dans aucun temps, n’a exercé une influence aussi immédiate, aussi directe. Les admirables Provinciales ne frappaient qu’une coterie ; la brochure même de Sieyès n’était qu’un signal, un mot de ralliement contre des institutions déjà ébranlées. La Satire Ménippée fut autre chose, fut plus, c’est-à-dire un combat au cœur même des évènemens, ou plutôt un évènement, un grand acte. Elle tua définitivement le parti de Philippe II et de Mayenne ; elle ruina d’un coup, en les perçant à jour, les prétentions de l’étranger et les ambitions des nationaux ; elle couvrit la ligue d’un ridicule qui ne s’est point effacé après des siècles. Le mot célèbre du président Hénault reste vrai : ce livre a été plus utile encore à Henri IV que la bataille d’Ivry. On l’a dit, ce fut en même temps une comédie et un coup d’état, une action courageuse et la première œuvre durable, le premier manifeste de la véritable éloquence française. Hier l’Union était encore prise au sérieux, le lendemain elle expirait sous le sarcasme. Selon le mot énergique de d’Aubigné, ce livret avait transformé tout à coup les grincemens de dents en risées.

On a peine à se figurer, aujourd’hui, et cela s’explique, que ce léger opuscule ait contribué, pour sa bonne part, à une révolution politique. Dans nos sociétés modernes, l’opinion se produit tous les jours, dans la presse, dans les livres, à la tribune ; on sait chaque matin où on en est ; la continuelle publicité a rendu le pamphlet impossible. Maintenant ce ne peut plus être qu’une œuvre de parti, autrefois ce pouvait être une œuvre nationale. Ainsi, quand la Satire Ménippée parut, elle ne fit que dégager en quelque sorte ce qui était latent ; elle donna la force du grand jour, c’est-à-dire la vie, à ce que pensaient toutes les ames honnêtes ; en un mot, elle constata, elle consacra l’opinion. Chacun reconnut, frappé à une empreinte immortelle, exprimé avec verve, avec décision, avec relief, ce qui était flottant dans son esprit. On se compta, on fut étonné de se trouver unanimes. Il y avait là d’ailleurs quelque chose de nouveau : pour la première fois en effet ce tour narquois et railleur, cette verve maligne qui nous était venue des trouvères, l’esprit fran-