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tant se voit tous les jours. Mais qui s’aviserait, je le demande, de débusquer un grammairien de ses conquêtes philologiques, de troubler un archéologue dans ses déchiffremens d’inscriptions ? Il faudrait être un mal appris, et la critique profane ne s’y risque point. Elle a ses raisons pour cela, raisons d’ennui, raisons d’ignorance. L’érudition spéciale est donc un asile sûr, qui a l’avantage de mettre à couvert de tout contrôle. Je ne rangerai pas tout-à-fait M. Auguste Bernard dans cette classe : son livre sur les d’Urfé avait paru révéler çà et là quelques intentions littéraires qui ne me semblent point s’être suffisamment reproduites dans la préface péniblement conçue qu’il place aujourd’hui en tête des États de 1593. Rien de net, de prompt, de dégagé, ni dans les idées, ni dans le style ; des citations prolongées, des détails indiscrets, viennent rompre incessamment la trame embarrassée du discours. Une introduction à un pareil monument devait être un véritable morceau historique, une dissertation élevée et étendue, en un mot, une initiation intelligente pour le lecteur. M. Cousin dans son Abélard, M. Fauriel dans sa Chronique des Albigeois, M. Mignet dans ses Négociations d’Espagne, ont donné de brillans modèles qu’on pouvait suivre, même de loin. Le sujet valait la peine qu’on s’y dévouât. M. Bernard a préféré suivre l’exemple du précédent éditeur des États de 1484, et s’en tenir à de ternes énumérations de faits connus, à des citations bibliographiques, à de sommaires indications. Ce procédé est plus commode, mais on n’en tire pas le même honneur, et on risque même par là d’être prématurément, et contre ses intentions, classé parmi les érudits purs. C’est au moins une imprudence.

Les procès-verbaux des états de 1593 offrent un triple intérêt, et peuvent être considérés dans trois sens distincts que l’éditeur aurait dû, ce semble, mettre en lumière. Soit qu’on considère en effet le récit des actes de cette chambre politique par rapport aux réunions analogues qui ont précédé et qui ont suivi, c’est-à-dire quant à la place spéciale qu’elle occupe dans la suite de nos assemblées nationales, soit qu’on y voie un document de plus pour l’histoire particulière de l’Union, un témoignage inédit sur ce grand procès de la ligue qui s’instruit de nouveau dans notre temps, soit enfin que, préoccupé du côté littéraire, on veuille trouver là surtout une pièce justificative de la Satire Ménippée, la réalité après la parodie, le commentaire utile d’un des premiers monumens de la vraie langue française ; en un mot, selon que l’on se place à l’un de ces trois points de vue, on reconnaît qu’il y a profit à tirer de cette publication, ou pour l’histoire des institutions, ou pour l’histoire politique, ou enfin pour l’histoire littéraire. Cette donnée, assurément, paraît féconde, et il est regrettable que M. Bernard ne s’en soit pas emparé pour donner plus d’intérêt à son introduction. Sans doute la tâche était rude, je le répète ; toutefois, si elle demandait du talent, de la science, beaucoup de travail, elle menait en revanche à des résultats importans et nouveaux. Mais je m’arrête : la critique n’a pas la prétention d’indiquer des plans, d’esquisser des ébauches ; elle s’en tient à son rôle de juge, appréciant seulement ce qui est fait et