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pour symbole cette cavale de Roland qui, chez l’Arioste, n’avait d’autre défaut que d’être morte, ou bien ce cheval emporté qui, dans les vers de Byron, entraîne Mazeppa à travers les steppes. C’est là que j’aimerais à voir commencer le contraste ; c’est là qu’il importe de ne plus ressembler au XVIe siècle.

Chercher des rapprochemens dans les détails serait puéril ; le drame de l’histoire ne veut pas être changé de théâtre, et les évènemens, dans leur vérité, se prêtent mal à ces comparaisons factices qui peuvent être un thème habile pour le paradoxe, une ressource ingénieuse pour l’esprit de secte, mais que doit dédaigner l’historien. Qu’on me laisse cependant remarquer, sans y attacher d’importance, qu’en France la révolution religieuse s’est terminée par les états de 1593, et que la révolution politique a commencé par les états de 1789. Quelquefois rien ne ressemble plus à ce qui finit que ce qui commence. Il semble de plus, comme le remarquait naguère M. de Lamartine, que la société, au sortir de l’anarchie, ne puisse revenir à l’ordre qu’en traversant le despotisme : la convention mène à l’empire ; le gouvernement absolu d’Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV, a son excuse et sa cause dans cet esprit rebelle de la réforme et de la ligue, qui un instant faillit compromettre le pénible enfantement de l’unité française.

Le rapprochement que nous indiquions tout à l’heure courait d’autant plus le danger d’être inexact, que les états de 89 ont réussi, qu’ils sont une date pour la société nouvelle, et que l’assemblée de 1593, au contraire, a échoué, que les historiens, après les faits, lui ont donné tort, et qu’elle ne vit guère que par le ridicule. Aussi n’est-ce pas une réhabilitation que je viens demander, c’est seulement une cause que je veux brièvement instruire. Les réhabilitations littéraires sont peu dangereuses : le goût, qui a pour lui les siècles, finit bien par retrouver ses droits ; il en est quitte plus tard pour une rature. Ce n’est pas tout-à-fait la même chose en histoire : si l’histoire n’est pas précisément un inventaire, une sèche et confuse énumération de faits et de dates, si elle aspire à mieux que cela, si elle prétend être l’application de la morale à l’activité humaine se développant à travers les âges, en un mot un exemple dans le passé, une leçon dans l’avenir, il semble qu’elle doive peu s’accommoder de ces indulgences tardives et risquées qui refont un piédestal aux réputations compromises et s’efforcent d’absoudre, par une philosophie inventée après coup, les évènemens qui ont contre eux la condamnation séculaire. C’est précisément ce qui s’est réalisé pour la ligue : par les passions opposées qu’elle avait mises en jeu, il est arrivé que cette période de notre histoire long-temps jugée avec sévérité par les historiens a, dans notre époque facile, reconquis plus d’une sympathie inattendue, plus d’une adhésion contradictoire. La mode a fini par s’en mêler ; à la longue, chacun a découvert dans la glorieuse et sainte ligue, comme disait à Notre-Dame M. Lacordaire, les antécédens de son système social. On le sait, M. de Bonald y a vu le salut de la monarchie aristocratique, M. de Lamennais le triomphe des doctrines ultramontaines, M. Buchez enfin les symptômes de sa démocratie catholique. De là des con-