Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
REVUE DES DEUX MONDES.

tout ce qu’il fleurit de riantes pensées dans le cerveau, tout ce qu’il s’épanouit de douces sensations dans le cœur ?

L’ame de feu Bressier se tourna du côté où elle avait laissé le corps, sa prison, et elle dit : « Adieu donc, guenille de chair que j’ai trop long-temps portée ; adieu, haillon vivant dont je rougissais. Délivrée, je déploie mes ailes et je remonte au soleil me confondre et m’anéantir dans la vie universelle. Quel esclavage digne d’une ame divine que celui qu’il faut subir dans le corps humain de la part du cœur, du foie, de la rate, du gésier et de tous les viscères et les intestins qui, au bout du compte, sont toujours les maîtres et dirigent ses actions et sa vie !

« Mais n’y a-t-il donc rien de plus dans cette vie d’où je sors ? Ce beau printemps, ces fleurs, ces parfums, cet air tiède, tout cela n’est-il donc pas une promesse divine d’un bonheur inconnu ? Quand j’habitais cette sordide prison qu’on appelait Bressier, j’ai entendu parler de l’amour, mais ce drôle ne me l’a point fait connaître ; il a acheté une femme que des parens bêtement avares lui ont donnée en mariage, parce qu’il était riche. Avant d’acheter celle-là et après l’avoir achetée, il en a loué quelques-unes ; jamais on ne l’a aimé, jamais il n’a aimé. J’aurais bien voulu connaître l’amour pendant que j’étais dans l’existence. J’ai envie de naître encore une fois ; mais si je redevenais quelque Bressier !… J’ai cependant envie de renaître. Le père de Bressier ne valait pas mieux que lui. Un autre père aurait eu un autre fils. J’étais née au hasard ; si je recommençais, je choisirais des parens. »

L’ame y pensa long-temps.

VI.

Puisqu’il vient d’être question de l’amour, je vais vous dire ici ce que c’est réellement que l’amour.

L’ame, je vous l’ai dit, n’est qu’un grain d’une sorte d’imperceptible poussière du feu de la vie et de l’intelligence universelle dont le soleil est le foyer. Ces parcelles, envoyées sur la terre, ont comme un souvenir vague et triste de cette sorte d’exil. Cette sensation inexprimable a des crises, des momens dans lesquels elle est plus sensible que dans d’autres.

Il n’est personne qui, aux premiers jours du printemps, n’éprouve