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le creux des rides était bleu, l’élévation était jaune, ce qui faisait l’effet de ces étoffes changeantes tramées de deux couleurs que portaient nos grand’mères ; c’était un calme profond. De loin, elle reconnut le bateau de Louis ; il vint au-devant d’un domestique par lequel Arolise lui envoyait son présent dans un paquet cacheté. Il attendit que le domestique fût parti pour ouvrir le paquet, puis il déchira rapidement les cachets. Il n’y avait pas de lettre, pas un mot, mais quelques napoléons. Mélanie était trop loin pour distinguer la colère et le dédain de son visage ; mais, ce qu’elle put voir, c’est qu’après un moment d’abattement, il se mit, comme par distraction, à faire des ricochets sur l’eau avec les pièces d’or d’Arolise.

Comme il s’en allait au cours de l’eau, elle ne put se décider à le perdre de vue sans lui dire adieu ; elle cria : — Bonsoir, Louis. — Louis la salua sans rien dire et sans s’arrêter, et ne tarda pas à disparaître derrière les saules.

Mélanie alla voir l’enfant, lui fit quelques cadeaux, dit à la mère qu’elle viendrait les visiter quelquefois ; mais, lorsqu’elle embrassa l’enfant, elle laissa tomber deux grosses larmes sur ses cheveux.

XXIX.

Quand on fut retourné à la ville, du Bois continua à se montrer fort assidu. Il parla de mariage ; on ne fit que quelques objections faciles à lever, puis on consentit.

M. de Lieben reparut. Il ne tarda pas à s’apercevoir de la mort de ses espérances ; il ne sut pas se résigner de bonne grace et s’avisa d’être gênant et importun. S’il arrivait chez Arolise avant du Bois ou pendant qu’il y était, rien ne le décidait à lever le siége que du Bois ne sortît. Il se rabattit cependant sur Mélanie, mais il fut fort mal reçu. Sa position dans la maison était devenue ridicule, mais il ne pouvait prendre sur lui d’en disparaître.

Pour Mélanie, elle pensait à Louis ; elle flottait incertaine entre l’amour et le préjugé ; puis, quand l’amour l’emportait, elle se disait : — Mais il est amoureux d’Arolise et n’a jamais fait attention à moi. Puis elle pensait que sa position et celle de Louis lui permettaient de faire des avances, à peu près comme une princesse fait inviter un homme à danser. Elle songeait que Louis, aimé d’elle, se consolerait bien vite des dédains de sa tante, dont les agaceries assez peu modérées étaient peut-être la seule cause de l’amour du pêcheur.