Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
REVUE DES DEUX MONDES.

avait si peur du froid, était plus que raisonnablement décolletée pour une promenade en bateau. Mais, pensait Arolise, avec quoi, sans cela, se parerait-on, quand on est en deuil ?


(Disons ici, à l’usage des générations futures, que se décolleter, qui semble au premier abord vouloir dire qu’on dégage ou qu’on découvre son col, est une expression consacrée par les femmes pour exprimer l’action de montrer à nu le col, les épaules, la moitié du dos, et les deux tiers de la gorge. J’en excepte celles qui montrent plus de gorge qu’elles n’en ont.)


Il est six heures, les deux dames partent accompagnées de M. de Lieben, et l’on se promène un peu dans l’île Richard en attendant l’arrivée de Louis. Il n’arrive qu’à sept heures ; M. de Lieben l’accueille par un « à la bonne heure » des plus impertinens. Louis fait entrer Arolise et Mélanie dans son bateau. M. de Lieben veut y prendre place, mais Louis l’arrête : Pardon, monsieur, je ne puis vous emmener.

M. de Lieben. — Comment ! qu’est-ce que ça veut dire ?

Louis. — Je ne puis avoir l’honneur de vous prendre sur mon bateau.

Arolise. — Et pourquoi cela, Louis ?

Louis. — Parce que mon bateau serait trop chargé.

M. de Lieben. — Alors il faut prendre celui du père Leleu, qui est plus grand.

Louis. — Le bateau du père Leleu n’a pas de voile, et la route est longue.

M. de Lieben. — Je récompenserai ce que vous aurez de fatigue de plus.

Leleu. — Pour moi, je ne prête pas mon bateau pour une expédition que Louis n’entreprendrait pas s’il m’en croyait. Je n’ai pas envie de me compromettre et de perdre le passage.

Arolise. — Vraiment, Louis, cela me contrarie beaucoup.

M. de Lieben. — Si vous étiez raisonnables, mesdames, vous ne feriez pas cette promenade. Quel plaisir y trouverez-vous ?

Arolise. — Oh ! pour la promenade, j’y tiens absolument. (Bas à M. de Lieben.) Restez, et faites-vous conduire par le vieux batelier.

M. de Lieben, bas. — Vous savez bien qu’il ne voudra pas.

Arolise, bas. — Si vous ne savez pas l’y décider, c’est que vous êtes bête ou avare, et nous serons toutes consolées de votre absence. (Haut.) Adieu, monsieur de Lieben, à tantôt.