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FEU BRESSIER.

à nous asseoir au milieu du bateau, le poussa à l’eau et sauta légèrement dedans.

— Vous ne mettez pas la voile ? dit ma tante.

— Nous n’en avons pas besoin pour descendre le courant, l’eau nous portera toute seule. La voile nous servira pour revenir.

« Alors nous commençâmes à voguer entre des rives délicieuses. Des deux côtés de la rivière s’élevaient des saules dont le feuillage étroit et bleuâtre se mêlait aux cimes vertes des peupliers. Des nénuphars étalaient sur l’eau, près de la terre, leurs larges feuilles rondes et luisantes, et leurs fleurs jaunes. Des libellules, des demoiselles, les unes vertes comme des émeraudes, d’autres bleues ou grises, voltigeaient et se poursuivaient sur l’eau. Le soleil se couchait, et ses rayons rouges venaient obliquement à nous à travers les saules du rivage. C’était un calme et un silence ravissant ; l’ame était plongée dans une ineffable extase.

« Je regardai ma tante ; son joli visage se trouvait par hasard dans un de ces chauds rayons que le soleil nous jetait à travers les feuilles des arbres ; on eût dit qu’elle était illuminée par une céleste auréole ; elle était charmante.

« Je regardai Louis. Il tenait les avirons et était assis en face de nous. Ses regards étaient fixés sur ma tante avec une profonde admiration.

« Ma tante s’en aperçut et s’en embarrassa. Nous passions à cet instant devant une petite maison couverte de chaume, dont une vigne tapissait toute la façade.

— Quelle charmante maison ! dit ma tante. Arrêtez-nous là un moment.

— Madame, répondit Louis, vous en verrez dix semblables sur le bord de l’eau.

— N’importe, je veux voir celle-là de près.

— Elle y perdra, bien sûr. D’ici vous ne voyez ni le tas de fumier qui doit être devant la porte, ni des enfans sales et déguenillés : de près, tout cela vous gâtera l’aspect de la maison.

— Il commence à être tard, dit ma tante, nous n’irons pas plus loin aujourd’hui. J’ai l’estomac fatigué, je trouverai sans doute un peu de lait dans cette maison ?

« Louis ne répondit pas, et dirigea son bateau vers le point indiqué avec un air de contrariété marquée. Il nous aida à descendre, puis se coucha dans le bateau pour nous attendre, et se mit à battre le briquet pour rallumer sa pipe.