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FEU BRESSIER.

manière dont la coquetterie tend ses gluaux dans le monde. Elle ne veut pas trouver de mari, mais elle veut autoriser la mansuétude avec laquelle elle se fait faire la cour.

« Elle me disait dernièrement : — Une femme qui avoue qu’elle aime, c’est un roi qui abdique. — Je ne sais pas si ce regret est bien féminin, du moins je ne le trouverais pas dans mon cœur.

« À toi seule, ma bonne Caroline, je puis dire tout ce que je souffre auprès de cette femme, qui n’est pas méchante, mais qui est d’une coquetterie féroce ; elle n’aime personne assez pour ne pas lui arracher les yeux, si cela était la mode d’en porter en bracelet. Elle se croit le but et l’objet unique de la création ; tout ce qui existe n’a, dans ses idées, d’autre rôle à jouer que de lui bien aller, de contribuer à faire valoir ses attraits ou par l’harmonie ou par le contraste.

« J’ai accepté cette position, parce que c’était le seul moyen d’assurer l’existence de ma pauvre mère, — veuve d’un autre genre, qui a toujours porté son crêpe dans le cœur, — en lui laissant ma petite part de notre petite fortune. Mme de Liriau m’a prise auprès d’elle, parce que c’est plus convenable et plus décent que d’aller seule dans le monde ; parce que, pour abréger un peu les ennuis de convenance du deuil, elle se permet quelques infractions à la couleur de règle, en disant : — Il faut bien que je distraie un peu cette pauvre petite ; je ne puis l’ensevelir dans mon deuil. — Et tout le monde l’approuve et la loue de sa bonté ; personne n’ignore, du reste, que je suis une parente pauvre dont elle prend soin, qu’elle veut marier (autre prétexte pour voir le monde) ; je lui sieds bien.

« Ma position dans le monde qu’elle voit est on ne saurait plus triste. Quoique parente, je joue un peu le rôle de suivante de comédie ; je me couche et je me lève à ses heures, je vais où elle s’amuse, je vois les gens qui lui plaisent et auxquels je ne plais pas trop. Outre que ma tante est plus jolie que moi, elle est riche ; les gens qui l’entourent ne sont pas de ceux qui peuvent penser sérieusement à moi. Beaucoup s’occupent de moi, mais je sais qu’ils ne m’épouseraient pas ; leurs galanteries sont offensantes, et je ne puis m’en offenser.

« D’ailleurs, je vis au milieu d’un luxe que je ne pourrai garder quand je serai mariée, si je me marie jamais ; ma tante m’oblige à une toilette telle que, du jour où j’aurai fait le mariage auquel je puis raisonnablement prétendre, il n’y a pas une de mes paires de bas qui ne soit ridicule, à moins de quelque hasard extraordinaire, comme il en arrive au théâtre plus que dans la vie.