Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
REVUE. — CHRONIQUE.

rience l’a prouvé, abondent, et le prix en baisse d’une manière surprenante. L’armée pourrait vivre de l’Afrique, elle pourrait y vivre à meilleur compte qu’en France, et c’est ainsi qu’on peut, sans paradoxe, affirmer qu’une forte armée est, en Algérie, un moyen d’économie.

L’écrit si remarquable de M. Bugeaud a cependant laissé quelques regrets. Nous ne voulons pas parler de la forme, ni de ces boutades qui ont peut-être la prétention d’être comiques, mais qui ne sont que le contraire de la dignité et du sérieux. M. Bugeaud a fait de si excellentes choses en Afrique, qu’on oublie volontiers l’homme de tribune et l’écrivain pour ne songer qu’au général et à l’administrateur.

Ce que nous regrettons d’abord, c’est que, dans la chaleur de ses convictions, il ait exagéré sa propre pensée, et fourni ainsi des armes aux adversaires de son système. Non-seulement il demande un effectif d’occupation fort considérable, mais il ajoute (page 13) : « Et pourquoi ne détacherait-on pas en Afrique les troupes d’infanterie qui ne sont pas indispensables en France ? Avec la paix et l’abaissement du prix des denrées, elles y coûteraient moins cher que dans la métropole, moins cher surtout parce qu’elles exécuteraient de grandes choses, au lieu de faire l’exercice sur nos places d’armes et de monter la garde à la porte des fonctionnaires publics. Si elles devenaient nécessaires en Europe, on les y rappellerait facilement, car elles ne compteraient pas dans l’effectif de l’occupation. » On les rappellerait facilement ! Cela est vrai, mais on ne les ramènerait pas facilement, car même les ignorans savent ce qu’il faut de dépenses, de préparatifs, de moyens de transport pour faire traverser la mer à une armée considérable. Et si une politique perfide nous avait préparé la guerre sous les apparences de la paix, si des hostilités inattendues venaient à éclater (le fait ne serait pas nouveau), s’il fallait songer en même temps à réunir tous ces moyens de transport et à les défendre, s’il fallait livrer des batailles sur mer uniquement pour ramener en France la fleur de notre armée, dirait-on encore qu’il est facile de rappeler nos troupes de l’Algérie ? Envoyons en Afrique les soldats qui y sont nécessaires, la France suffit à cette tâche ; mais le gros de notre armée, notre infanterie, qui en est la substance et le nerf, ne doit pas quitter le sol de la France. Mieux vaut la voir s’exercer sur nos places d’armes, et même monter la garde à la porte des fonctionnaires publics, que de la jeter sur les plages africaines, loin de ces frontières qu’elle doit défendre, de ce sol sacré qu’elle fait respecter. Il est bon d’aimer l’Algérie, à la condition toutefois de ne pas oublier la France et l’Europe.

On a aussi regretté de voir un fonctionnaire public qui, malgré l’élévation du poste qu’il occupe, dépend hiérarchiquement du ministre de la guerre et n’est pas seul responsable de l’administration de l’Algérie, on a regretté, dis-je, de le voir prendre de son chef l’initiative de ces graves questions devant le public, se faire juge de l’opportunité du moment et des conditions du système à proposer aux chambres. Qu’arriverait-il si le cabinet ne partageait