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nécessaires pour acheter sa nourriture, n’est pas aussi dépendante d’autrui que si sa nourriture croissait elle-même sur la terre étrangère ? Un homme peut mourir de faim au milieu de l’abondance, s’il n’a point le moyen d’acheter les premières nécessités de la vie. Nos manufacturiers peuvent être en proie à la famine au moment même où nos campagnes regorgent de moissons luxuriantes. Il est puéril de dire qu’une population qui dépend du commerce étranger, et dont les salaires, c’est-à-dire les moyens de vivre, dépendent de la consommation des étrangers, puisse avoir l’idée de se rendre indépendante des nations étrangères. Mais il y a d’autres principes encore qui condamnent cette doctrine. Pourquoi le globe sur lequel nous vivons a-t-il été partagé en zones et en climats ? Pourquoi les divers pays ont-ils été appelés à produire des fruits divers, tandis que les hommes qui les habitent ont tous les mêmes besoins ? Pourquoi les nations les plus éloignées les unes des autres ont-elles été presque mises en contact par ces océans immenses qui semblaient devoir les isoler ? Pourquoi, pourquoi tout cela, sinon pour que l’homme dépendît de l’homme, sinon pour que le partage des nécessités de la vie fût accompagné par l’extension et la dispersion des lumières, sinon pour que l’échange mutuel des biens pût produire un échange de sentimens bienveillans, et pour que le commerce, menant d’une main la civilisation et de l’autre la paix, pût rendre le genre humain plus heureux, plus sage et meilleur ? Tels étaient les desseins de la Providence, tels étaient les décrets du pouvoir tout-puissant qui a créé et ordonné l’univers. Mais voici que les législateurs sont intervenus, avec leur présomption et leur arrogance insensée ; ils ont enchaîné l’élan instinctif de la nature, et ils ont mis leurs misérables lois à la place des lois éternelles de la Providence. »

Les souvenirs qui s’attachent encore au nom de lord Palmerston ne doivent pas nous empêcher de reconnaître que, dans le passage que nous venons de citer, la justesse des idées égale la beauté du langage. Il est puéril, en effet, de vouloir qu’un grand pays commercial comme la Grande-Bretagne soit indépendant des nations étrangères. L’histoire n’a jamais offert l’exemple d’un peuple qui ait occupé dans le monde la position exceptionnelle que l’Angleterre y occupe aujourd’hui. Dans tous les autres pays, la consommation intérieure prime l’exportation ; mais, en Angleterre, le tiers de la population travaille sur des produits bruts étrangers, et fabrique pour la consommation étrangère. Que demain la guerre éclate avec l’Amérique,