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Pasta. L’occasion s’offrait d’elle-même dans Tancredi. En a-t-elle su profiter ? Nous nous en remettons volontiers sur ce point à l’opinion générale. Les encouragemens ne peuvent cependant pas durer toujours ; il vient un moment où le public et la critique prétendent voir se confirmer les promesses qu’ils saluaient aux premiers jours, et si les espérances, au lieu de tenir ce qu’elles annonçaient, disparaissent ; si la fleur, au lieu de s’épanouir, s’étiole, que dire ?

Le rôle d’Aménaïde n’ajoutera rien à la réputation de Mme Persiani : sa voix s’y montre agile et pure comme toujours ; mais peut-être souhaiterait-on plus de brillant, de jeunesse et d’éclat, peut-être aussi les souvenirs de la Sontag ont-ils rendu cette musique inabordable à toute cantatrice ? Est-ce pour éviter d’entrer en lutte ouverte avec ces souvenirs que Mme Persiani remplace l’air célèbre d’Aménaïde au second acte par une cavatine étrangère à l’ouvrage, substitution des plus malencontreuses et que personne à coup sûr n’approuvera ? Cette singulière manie de bouleverser ainsi à tout propos l’ordre et l’économie des partitions des maîtres semblait pourtant, depuis quelques années, vouloir abandonner les chanteurs italiens ; d’où vient qu’elle s’est ravivée au sujet de Tancredi. La scène d’Aménaïde appartient à l’ouvrage, Rossini l’y a mise ; de quel droit, s’il vous plaît, l’en ôtez-vous ? Qui nous dit qu’un beau jour la fantaisie ne prendra point à l’une de ces dames de remplacer la romance du Saule, au troisième acte d’Otello, par quelque mélodieuse boutade de MM. Ricci ou Tacchinardi ? Somme toute, on fera bien de laisser là Tancredi. Trop de souvenirs se rattachent à cette partition, des jours trop glorieux se sont levés sur elle, pour qu’on puisse espérer la voir jamais se produire avec un digne éclat. Sans rappeler ici la grande époque de la Pasta, qui ne se souvient de ces temps héroïques du Théâtre-Italien où la Malibran chantait Tancredi et la Sontag Aménaïde ? qui n’a présentes à l’esprit ces luttes fabuleuses, ces combats à outrance que se livraient les deux nobles rivales aux applaudissemens de toute une salle en délire ? Il est surtout une circonstance que les vrais dilettantes n’oublieront jamais. Je veux parler de cette représentation de Tancredi qui fut donnée à l’Opéra au bénéfice des pauvres. Le vieux roi Charles X assistait avec sa famille à la solennité ; la salle, éblouissante de lumière, de diamans et de fleurs, avait un air de fête qu’on ne lui a peut-être pas revu depuis ; non, jamais la musique italienne, jamais l’art divin de la mélodie et du chant n’eut de plus splendide ovation. Quel feu sacré, quelle passion la Malibran déploya ce soir-là ! Et la Sontag, quelle voix ! les perles de son gosier vibrent encore à nos oreilles ; et ce trait merveilleux, dans l’air que Mme Persiani passe aujourd’hui, ce trait qui se terminait par une si magnifique tenue sur l’ut, comment fera-t-on pour l’oublier ? Les larmes étaient dans tous les yeux, les applaudissemens ne se contenaient pas, et de temps en temps, après chaque duo, les fleurs tombaient en pluie aux pieds des belles héroïnes, qui s’arrêtaient alors dans leur inspiration pour saluer l’assemblée et sourire à leur triomphe. Ce fut le chant du cygne. Peu de jours après, on se sépara :