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LES AFFAIRES DE CHINE ET DE L’AFGHANISTAN.

le charme est brisé, le voile est tombé, et bientôt il n’y aura plus de mystères dans le monde. Notre Europe, que nous croyons et que nous disons déjà si vieille, va se retrouver toute jeune et toute nouvellement trempée en face de ce monde immobile, âgé de plusieurs milliers de siècles. L’esprit moderne, le génie vainqueur de l’ère chrétienne, long-temps arrêtés par cette borne mystérieuse, l’ont renversée par un effort suprême, et poursuivent leur course à travers l’univers. Nous ne voulons ni exalter, ni même justifier la valeur morale d’une conquête qui a eu sa source dans des besoins mercantiles ; mais au fond de cette propagande violente qui force à coups de canon les portes du temple le plus sombre et le plus reculé de l’Asie, ne reconnaissez-vous pas l’esprit envahissant de l’Occident, avec sa soif inextinguible de l’infini, son absorption du temps et de l’espace, et cet insatiable besoin de mouvement qui ne dit jamais : C’est assez ? Par quelques mains et par quelques moyens que ce grand évènement ait été accompli, on ne peut nier qu’il n’intéresse profondément le monde entier, car les Anglais sont ici les pionniers de l’Europe, et ont ouvert une route où nous les suivrons tous un jour.

On doit, du reste, rendre à l’Angleterre cette justice, qu’elle a paru comprendre que son triomphe n’était pas aussi honorable que lucratif, et qu’elle l’a célébré avec une modestie qui ne semblait pas sans quelque mélange de remords. Il est à croire aussi que le gouvernement actuel de la Grande-Bretagne, quand il ouvrira la prochaine session du parlement, n’usera qu’avec sobriété des exploits des armes anglaises en Chine. Le ministère tory ne pourrait, sans embarras et sans inconséquence, se glorifier du succès d’une guerre dont ses membres ont, en d’autres temps, énergiquement dénoncé et flétri l’origine et les causes. Sir Robert Peel, qui ne se compromet jamais, avait su se maintenir dans une neutralité expectante ; mais sir James Graham pourrait-il oublier qu’il appela un jour sur la guerre de la Chine une condamnation formelle du parlement ? M. Gladstone pourrait-il oublier qu’il approuva en pleine chambre les Chinois d’avoir empoisonné leurs citernes pour se débarrasser des Anglais ? Et lord Stanley ne disait-il pas encore il y a six mois : « L’Angleterre ne voit ces triomphes qu’avec peu de satisfaction et très peu d’orgueil ; elle n’y voit qu’un sujet de réflexions pénibles et une source de déconsidération. » Nous verrons donc si le succès a modifié les opinions des principaux ministres de la Grande-Bretagne, et a donné, à leurs yeux, une couleur plus honorable à une entreprise dont ils avaient autrefois si solennellement condamné le principe.

L’origine et les commencemens de la guerre de l’Angleterre avec la Chine ont déjà été exposés dans cette Revue. Nous n’entreprendrons point de suivre les Anglais dans cette multitude de combats qu’ils ont livrés depuis deux ans sur les côtes, combats sans gloire dont ils rougissent eux-mêmes. Nous ne prendrons le récit de leurs opérations qu’au moment où, sentant la nécessité de frapper un grand coup, ils ont entrepris de pénétrer droit au cœur de l’empire.