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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

but, que le concours des intrépides populations du Tsernogore et de l’Hertsegovine ; mais Raguse était latine et ne pouvait, comme telle, posséder la confiance des Serbes orientaux. Quand l’Autriche hérita de ces bouches de Kataro, si ardemment convoitées par Napoléon, on put croire que le cabinet de Vienne allait profiter de cette bonne fortune pour se donner une marine militaire qui aurait mis ses sujets en état de disputer aux maîtres de Corfou une partie du commerce des côtes nord et nord-est de la Méditerranée. Loin de là l’Autriche, dont presque tout le corps est slave, s’obstina à garder une tête allemande ; elle fut amenée ainsi à sacrifier Raguse et Kataro au port si peu sûr de Trieste, et plusieurs de ses plus belles provinces restèrent inexploitées. Si l’on suit la sinueuse frontière qui trace, à force de détours, le long de la Turquie, une ligne de deux cent trente lieues, tandis que la ligne droite n’en aurait pas quatre vingt-dix, on gémit de voir les peuples parqués ainsi comme des troupeaux. Près de Kataro, le pays tsernogortse n’est qu’à une portée de fusil de la mer, mais une longue et sévère quarantaine met entre ces deux points si rapprochés plusieurs centaines de lieues. Cependant la mer est le seul débouché commercial de la montagne. On conçoit, nous le répétons, que ces montagnards ne voient pas sans colère un tel ordre de choses, et que, pour s’en affranchir, ils soient presque aussi portés à attaquer les Autrichiens que les Turcs. Aussi, avant que Pierre II fût nommé vladika, dirigeaient-ils fréquemment leurs tchetas contre les petites villes dalmates ; la plupart des péninsules de cette côte voient encore s’élever sur leur isthme des koulas bâties pour les protéger contre les Tsernogortses. Faut-il s’étonner que l’Autriche surveille d’un œil jaloux ce peuple qui, maître d’un point maritime quelconque, deviendrait aussitôt redoutable pour le commerce de Trieste ?

L’Angleterre ne peut pas non plus être satisfaite du rapprochement qui s’opère entre les Tsernogortses et les Mirdites des Dibres et de la Mattia. Elle craint naturellement pour sa marine ionienne les corsaires slaves de la Kraïna albanaise[1] ; elle sait que plusieurs chefs tsernogortses ont déjà des navires à eux dans l’Adriatique. Montés sur leurs bichettes, leurs faucons, leurs hirondelles, barques rapides, comme les animaux dont elles portent les noms, et qu’aucun bas-fond n’arrête, ces ouskoks de la mer, frères dévoués des ouskoks montagnards, n’auraient qu’à se mettre au service d’une grande

  1. Le nom de Kraïna, qui signifie littéralement frontière, désigne toute colonie fondée par des Slaves.