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et passa tous les soirs une heure en prières. Était-ce pour remercier Dieu de lui avoir donné une bonne femme ? Était-ce pour se consoler d’un triste mariage ? Il se remit à l’œuvre, mais adieu les folles inspirations, adieu la satire et la gaieté ! S’il lui revient quelques élans de ses beaux jours, c’est que la nature la plus éteinte reprend encore çà et là des étincelles. Son burin n’aborda plus que des sujets religieux ou des sujets sévères.

Son talent, comme tous les talens originaux, avait partout du retentissement ; à Paris, à la cour même, on admirait ses prodigieuses fantaisies. Le roi Louis XIII, près de partir pour le siége de La Rochelle, appela le graveur lorrain dans sa suite en disant que celui-là seul était digne d’immortaliser ses victoires. Jacques Callot, un peu revenu des vanités humaines, plus touché de la gloire de Dieu que de celle des hommes, obéit avec quelque regret ; car comment irait-il à la messe là-bas au milieu de tous ces soldats sans foi ni loi ? Après le siége, il revint à Paris achever les gravures de ce fait d’armes. Il fut logé au Luxembourg, où il retrouva son ami Sylvestre Israël, et où il se lia avec quelques décorateurs du palais, décorateurs assez remarquables, tels que Rubens, S. Vouet, Poussin, Philippe de Champagne et Lesueur.

Malgré des amitiés illustres, la protection de Louis XIII, les mille attraits de Paris, Callot repartit pour Nancy dès que son travail fut à bout. Il aimait plus que tout autre la paix, le silence, l’horizon borné. Il laissa le soin d’éditer ses œuvres à son ami Israël, qui poussa la bonne amitié, je parle ici sans raillerie, jusqu’à signer de son nom grand nombre des gravures de Callot ; mais le plus souvent il se contentait de les mettre en lumière, suivant son expeession, c’est-à-dire de les publier. Voici à peu près le titre de toutes ces gravures : « Les Misères et Malheurs de la guerre, représentés par Jacques Callot, noble Lorrain, et mis en lumière par Israël, son ami. » Quelquefois Israël veut faire le bel esprit ; rien n’est curieux à voir comme ses naïvetés de style ; on dirait un enfant ou un maître d’école qui tient la plume. Callot était surtout revenu à Nancy par amour pour sa famille et sa ville natale. C’était un artiste national. « Il avait quitté avec mépris, dit un historien de Nancy, le peuple servile d’Italie ; il était revenu à Nancy déposer humblement sa gloire et vivre de son génie. » Il aimait son pays d’un amour noble et fier ; en cela, il avait mordu aux traditions paternelles. Dans ses heures de loisir, il étudiait avec une religion toute nationale les hauts faits d’armes de la Lorraine,