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JACQUES CALLOT.

en galant tête-à-tête M.  et Mme Thomassin. Repoussant le bras du vieux graveur, qui trépignait de rage, il se jeta vivement vers la porte que masquait le portrait, et descendit en toute hâte un escalier dérobé qui aboutissait à un cabinet de Thomassin. De ce cabinet, Jacques passa dans l’atelier, où il attendit patiemment le jour. Le jour venu, il rassembla quelques gravures et partit sans autre bagage, comprenant bien qu’il ne pouvait demeurer désormais sous le même toit que le bon Thomassin. Il songea d’abord à rester à Rome, mais le même jour il partit pour Florence avec un muletier, pensant qu’il fallait à jamais fuir la signora pour vivre en paix avec son cœur. En disant adieu à Rome, il tomba dans un grand désenchantement : il lui sembla qu’il fuyait sans retour toutes les joies de la jeunesse, les chimères brillantes de gloire et d’amour, les rêves enivrans d’une imagination exaltée, la coupe enchantée où il avait à peine mouillé ses lèvres avides, le palais qu’il avait bâti sur un sable d’or, en un mot tous les trésors de son ame. Hélas ! s’écria-t-il, pour retrouver ce bonheur de vingt ans, reviendrai-je la voir un jour ? Et dans l’horizon serein il cherchait la figure si belle et si attrayante de la signora. Il ne revit pas Mme Thomassin ; il ne revint pas à Rome. Comme il l’avait pressenti, la ville éternelle fut le tombeau du plus beau temps de sa vie, des songes amoureux de son ame, du printemps de son cœur. Une fois parti de Rome, la vie de Callot perd son caractère aventureux et piquant ; elle ne nous offre plus guère que des veilles laborieuses succédant à des jours paisibles.

V.

Jacques Callot allait à Florence sans savoir s’il y séjournerait ; il espérait trouver une place dans l’atelier de son premier maître. Il était à peu près sans ressources ; ce qui était bien pis, il était sans courage. Il s’abandonnait indolemment à son étoile un peu capricieuse. À la porte de la ville, il fut arrêté comme étranger. Déjà de mauvaise humeur dans l’incertitude de son sort, il se mit en colère et voulut résister. Il demanda à être conduit sans retard au palais du grand-duc, exposa ses griefs et ses titres à son altesse Cosme II. Le grand-duc, qui accueillait et protégeait royalement les artistes de tous ordres, dit à Jacques Callot qu’il se félicitait qu’on l’eût arrêté dans ses états, que lui-même prétendait le retenir de force en son palais, où il y avait une grande école de peinture, de sculpture et de gravure. Callot fut enchanté du contre-temps ; il s’installa au