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tane favorite ou de reine ennuyée : les plus riches tapis de Turquie, des porcelaines de Chine, des éventails d’Espagne, des pierreries du Mogol, les richesses de tous les pays étaient rassemblées dans ce temple profane. Que dirai-je du lit ? Je ne l’ai pas vu. À en croire le livre que j’ai sous les yeux, le lit était tout de soie et d’or. En disant que Thomassin avait eu le bon goût de n’accrocher aucune figure, dans cette chambre, je me trompe : entre deux glaces, il avait suspendu, devinez quoi ? son portrait à lui-même. C’était le seul reproche qu’on pût faire à cette chambre. Il faut dire que le bon vieux graveur n’y était souffert qu’en peinture. Mme Thomassin ne permettait guère à son mari que de lui baiser les mains quand ils se rencontraient dans la galerie de tableaux, ou quand elle allait dans l’atelier pour voir Callot.

Callot avait vingt ans ; c’était alors un joli garçon distrait et pensif, sachant porter sa moustache et porter son épée. Il aimait le luxe en toute chose ; son habillement était des plus gracieux ; son pourpoint de velours donnait passage à des cascades de dentelles ; nul cavalier n’avait plus belles plumes à son feutre.

Deux jeunes cœurs qui reposent sous le même toit finissent toujours par battre l’un pour l’autre. Callot devint amoureux de la signora Bianca. La signora, malgré sa fierté, se sentait un faible pour Callot ; elle se plaisait à le voir, à lui parler, à lui allumer l’ame, comme dit le chroniqueur, aux flammes de ses beaux yeux. Le bon vieux Thomassin n’y voyait que du feu, au point qu’il priait Callot d’accompagner sa femme à la messe et à la promenade les jours où la goutte le retenait de force au logis. Le jeune graveur trouvait tout cela charmant. À la promenade, il ne voyait qu’elle seule, il n’adorait qu’elle seule à la messe. Durant six belles semaines, tout alla pour le mieux. Callot se contentait de voir et d’admirer, c’était la joie pure des yeux et de l’ame, c’était l’aurore sans nuages de l’amour ; mais enfin les nuages apparurent, le ciel s’obscurcit, l’orage descendit au cœur de Callot : il alla plus loin dans ses rêves, il s’égara dans les sentiers touffus où les roses secouées ont un charme enivrant. Il sentit qu’il n’apaiserait son cœur que sur le cœur de la signora ; un baiser, un seul baiser, dérobé d’abord et accordé ensuite, voilà ce qu’il voulait avec une ardeur sans pareille. Comment arriver là ? Dans le jardin du palais, il y a des bosquets de myrtes et d’orangers ; sur le Tibre, la signora n’a-t-elle pas une nacelle en bois des Indes ? Callot n’était ni paysagiste, ni romanesque ; il avait vu la chambre de la signora, c’était dans ce paradis de Mahomet, le soir, quand la dame,