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lui laissait pas le loisir de penser à sa présence parmi des bohémiens, même quand la troupe se donnait en spectacle.

Or, à Florence, un gentilhomme piémontais, devenu officier du grand-duc, rencontra Callot parmi les bohémiens ; du premier coup d’œil, il fut surpris de la figure délicate et des nobles façons de cet enfant égaré ; il ne pouvait croire qu’il allât de pair et compagnie avec cette horde sans feu ni lieu, sans foi ni loi, qui secouait alors sa misère par des chants et des danses bizarres. Callot demeurait au milieu des bohémiens pendant leurs ébats grotesques, mais il était aisé de voir qu’il n’appartenait pas à cette grande famille vagabonde ; son regard distrait s’arrêtait émerveillé sur les sculptures d’une fontaine, tandis que tous les autres regards demandaient l’aumône aux spectateurs florentins. Le gentilhomme voulut savoir à quoi s’en tenir ; il appela Jacques et le questionna d’un air plus paternel que n’avait fait le héraut d’armes de Nancy. Jacques répondit par signes qu’il n’entendait rien à la langue italienne ; le gentilhomme, qui savait un peu de mauvais français, parvint à se mettre en communication plus directe avec Jacques. Il apprit en quelques mots comment cet autre enfant prodigue était parti un beau matin de Nancy pour Rome, n’ayant pour tout bagage que sa grande jeunesse et ses verdoyantes espérances ; comment il avait rencontré, dans sa route et fort à propos, ces braves bohémiens qui l’hébergeaient, lui donnaient son pain et son gîte sans trop l’associer à leur brigandage ; comment enfin il espérait arriver bientôt à Rome pour étudier les grands maîtres, et devenir lui-même un grand maître s’il plaisait à Dieu. Cette volonté sûre et raisonnée dans un enfant de douze à treize ans intéressa très vivement l’officier du grand-duc. Il n’avait jamais protégé personne, il voulut être bon à quelqu’un et à quelque chose. Il prit la main de Callot et l’emmena du même pas chez un peintre et graveur de ses amis, Ganta Gallina : « Faites pour celui-ci comme pour un mien ; faites qu’il devienne digne de vous et de moi. » Callot fut admis à l’instant même ; il dut trouver, en fin de compte, qu’il n’en coûtait pas cher pour aller étudier en Italie. Au bout de six semaines, Callot avertit son protecteur qu’il voulait partir pour Rome ; Rome était la fontaine des arts, il voulait boire aux sources pures où le divin Raphaël avait trempé ses lèvres. Le protecteur craignit d’avoir servi un enfant plus vagabond qu’artiste ; pourtant, comme il aimait Jacques, il voulut le protéger encore de sa bourse et de ses conseils. Il lui acheta une mule, lui remplit une valise, lui recommanda les bons chemins dans tous les passages de la vie, lui promit de l’aller voir à