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JACQUES CALLOT.

aise, Jacques alla se jucher sur le mur du cimetière. Il vit une vingtaine de bohémiens de tous âges, depuis la grand’mère jusqu’à la petite fille au berceau, habillés de guenilles couvertes de paillettes, les uns dansant, les autres jouant de la viole et du fifre, ceux-ci disant la bonne aventure, ceux-là promenant avec force grimaces leurs sébiles autour du cercle des spectateurs. Le soleil donnait un éclat pompeux à leur misère ; grace au beau temps, à la richesse de la saison, on ne voyait que leur rire et leur clinquant ; on s’imaginait assister à une fête de fées ennuyées et de lutins capricieux qui se donnaient en spectacle pour s’amuser eux-mêmes. Parmi les danseuses, on remarquait deux jeunes filles de quinze à seize ans qui répandaient autour d’elles, par leur beauté ardente et leur grace passionnée, un charme des plus attrayans. Jacques les suivait des yeux avec un sourire d’amour et de béatitude ; il ne put résister au désir de crayonner leurs silhouettes. Il se mit à l’œuvre ; vous comprenez qu’il ne marchait jamais sans son rouleau de papier renfermant ses crayons. Quand il eut tant bien que mal réuni les deux belles danseuses dans le même mouvement, il fut très surpris de se voir entouré de quelques paysans curieux qui s’émerveillaient en silence de son savoir-faire ; il poursuivit son œuvre sans trop se troubler, mais il ne put achever, car bientôt les deux danseuses, averties qu’on prenait leur signalement, voulurent à leur tour voir si elles y faisaient bonne figure ; elles vinrent donc se pencher aux deux oreilles du dessinateur, qui, voyant ses charmans modèles si près de lui, laissa tomber son crayon.

— Qu’il est joli ! ma sœur, dit l’une d’elles. — Qu’il est adroit ! répondit l’autre. — D’où vient-il ? — Quel est-il ? — Où va-t-il ? — Je vais à Rome, dit Jacques sans trop savoir ce qu’il devait dire. À Rome ! en Italie ! Nous allons à Florence ; quel beau compagnon de fortune s’il était des nôtres ! tous les chemins vont à Rome ! — Oui, compagnon de fortune, dit Jacques en tirant sa bourse ; voilà tout ce que j’ai pour mon voyage, et encore j’ai fort mal dîné aujourd’hui. — Le pauvre enfant ! je l’emmène à l’Auberge-Rouge, où nous attendent le souper et le gîte, des fèves au lait et vingt gerbes de paille d’avoine sur l’aire de la grange. En avant, le soleil est couché, nos sébiles sont pleines. Baise mon collier de perles et donne-moi ta main.

Disant ces mots, la jolie fille pencha son cou sous les lèvres un peu rebelles de Jacques ; il baisa pourtant le collier et le cou d’assez bon cœur, après quoi les deux sœurs le prirent par chaque main et l’en-